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éloquence ne s’échappa plus animée et plus incisive que dans ces jours d’angoisses. » Pendant ce temps, la cause opprimée de l’orthodoxie trouvait d’autres martyrs, d’autres apôtres. Lucifer de Cagliari, prisonnier en Asie, faisait parvenir à Constance des écrits, je dirais volontiers des brochures, dans lesquels, avec la fougue de son caractère, il s’adressait à lui en ces termes : « Viens donc, empereur ! pourquoi ne te venges-tu pas de moi, de ce mendiant qui t’insulte ?… Penses-tu que nous respecterons ton diadème, tes pendans d’oreille, tes bracelets, tes riches vêtemens, et que nous oublierons le maître de la terre et du ciel ? » L’empereur faisait demander à Lucifer s’il était réellement l’auteur de l’écrit, et Lucifer se hâtait de l’affirmer.

Tandis qu’il persécutait ainsi les orthodoxes, Constance imagina, comme diversion, de persécuter aussi les païens ; mais l’écrivain catholique qui écrit aujourd’hui l’histoire de l’église n’accepte pas pour elle ce singulier dédommagement. « Se croyant maître de l’église, dit-il en parlant de Constance, il lui convenait que l’église à son tour fût maîtresse de tout. Il lui promettait la domination pour la consoler de la servitude. Ce n’est pas la seule fois dans l’histoire que de tels marchés ont été offerts à l’église, et, à vrai dire, le despotisme ne peut guère lui en proposer d’autres, des richesses pour ses ministres, des supplices pour ses ennemis ; c’est tout ce que peut mettre à son service le pouvoir absolu. Constance ne lui épargna aucun de ces dons funestes. » Nobles paroles ! et celui qui les a prononcées n’hésite pas à condamner des mesures tyranniques et des dispositions sanguinaires qui, sous le prétexte de punir les crimes de la magie, ouvraient un champ périlleux à la bassesse toujours active des dénonciateurs. Il réprouve ces violences inutiles contre le paganisme abattu, et pour flétrir ceux qui s’en firent les instrumens, les appelle des inquisiteurs, faisant de ce mot ce qu’il doit toujours être, une injure. Ce qui montre que ce zèle si cruel de Constance n’était pas très sincère, c’est qu’à Rome, celui qui avait publié un édit pour la clôture des temples païens n’hésita pas à entrer dans le temple de Jupiter-Capitolin et dans le Panthéon. Ce voyage à Rome fut un vrai triomphe pour Constance. Païens et ariens étaient à ses pieds. Le pape Libère, vaincu par l’âge et par l’exil, écrivit qu’il abandonnait Athanase, et qu’il voulait faire sa paix avec les évêques orientaux : faiblesse personnelle du pape que M. de Broglie n’hésite pas à condamner après le pieux Baronius.

Mais ici commence une nouvelle période de l’histoire de l’arianisme. Vainqueur, le parti arien se divisa comme font tous les partis victorieux ; il eut ses exagérés, ce qu’on pourrait appeler, en employant un langage que mes lecteurs ne comprendront peut-être plus, son extrême droite, dirigée par Aétius ; il eut aussi ses modérés,