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il pleure de ne pas être encore catholique. Le seul dans ce conseil qui résistât encore, quoique secrètement papiste, Arlington, dut céder, et il écrivit à Madame qu’il lui appartenait, et ne lutterait plus contre elle. Il fut décidé qu’on demanderait l’appui du roi de France (6 juin 1669).

Le vrai roi du moment était le commis de la guerre, cette rouge figure de Louvois, qui, occupant le roi de choses à sa portée, des détails du matériel, le menait comme il voulait. Il ne ménageait rien, ni Condé, ni Turenne. Il ne tenait pas compte de Madame, si nécessaire ! Il avait adopté le chevalier de Lorraine, de sorte que ce petit garçon, autre Louvois dans son Palais-Royal, tête haute, ne voyait plus personne, ne saluait plus, ne connaissait plus la maîtresse de la maison.

Madame avait pourtant ses lettres chez Cosnac, qui, quoique fort malade, secrètement revient, les lui rend. Louvois le sait, l’arrête, ne lui trouve plus rien, et il en est si furieux qu’en le renvoyant à Valence, il lui fit faire cent lieues sans respirer pour qu’il en mourût en chemin. Le roi aussi était fort irrité de ce retour de l’exilé. Madame agit finement. Sans agir elle-même ni se servir des lettres, elle fit savoir ici (par Charles II sans doute) que l’étourdi avait le secret de l’état, jasait et bavardait. Louvois l’abandonna et le roi le fit arrêter. À ce moment, il était dans la chambre même de Monsieur. On ne respecta pas ce sanctuaire. Tiré des bras de son maître éploré, on le mena au château d’If, prison très dure des criminels d’état. Monsieur donna la comédie à tout le monde. Pleurant et sanglotant comme Orphée pour son Eurydice aux forêts de la Thrace, il s’en alla en plein hiver dans les bois de Villers-Cotterets. Madame en eut pitié. Elle n’attendait pas un châtiment si rigoureux. Elle le fit alléger, obtint qu’il pût envoyer de l’argent au cher ami, adoucir et ouater sa cage.

Cependant le traité était fait entre les deux rois. Louis XIV avait subi des conditions exorbitantes d’argent, et une autre bien grave : c’est que Charles II, converti, partagerait avec lui la conquête de la Hollande, y enverrait un corps considérable, garderait pour lui les îles hollandaises, le vis-à-vis de l’Angleterre, avantage si énorme pour celle-ci qu’il eût rendu nationale l’odieuse alliance et glorifié la trahison. Deux points seuls restaient à traiter : 1° le décider à commencer la guerre avant la conversion, chose facile à obtenir, cette conversion l’effrayait au moment de l’exécuter ; 2° ce qui était plus difficile, c’était de gagner sur lui qu’il envoyât très peu de troupes, trop peu pour prendre et garder la part qu’on lui promettait. Louis XIV y mit cent vingt mille hommes ; Charles II en promit six mille, que sa sœur fit réduire à quatre.