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génie a dû emprunter d’accens et de surprises rhythmiques aux danses et aux chants populaires de la Pologne ! Personne n’avait plus de titres pour entreprendre un pareil travail, si M. Liszt ne s’était mis dans la tête de se donner pour un prophète révélateur d’une foi nouvelle dans l’art. Pauvre M. Liszt ! Il n’a pas vieilli depuis vingt-cinq ans qu’il a commencé à jouer cette comédie avec son ami M. Berlioz ! Il est resté toujours le même : une nature généreuse et un grand enfant.

L’ouvrage que nous venons d’examiner est le pendant de celui qu’a publié M. Liszt, il y a quelques années, sur l’œuvre et la vie de Chopin. C’est une longue improvisation littéraire sur un thème mal défini, une divagation de trois cent quarante-huit pages remplies de lyrisme, de fioritures, de modulations imprévues et de rhythmes divers, qui a beaucoup d’analogie avec l’art des Bohémiens, une symphonie en prose sans idées, dont le style est exactement le même que celui des symphonies musicales de l’auteur, enfin une production digne de cette école du non-sens dont M. Liszt semble ambitionner les suffrages, et dont il serait inutile de s’occuper si elle ne s’attaquait aux principes les plus essentiels de l’art.

P. SCUDO.

ESSAIS ET NOTICES.

Du Droit criminel chez les Peuples modernes


On a quelquefois reproché à Joseph de Maistre[1], comme une maxime violente et cruelle, d’avoir dit que « la souveraineté et le châtiment sont les deux pôles sur lesquels roule la société humaine. » Ce reproche, dans ces termes, est, ce me semble, injuste. Sans doute la société a des bases plus profondes, et la souveraineté comme le châtiment ne sont que des moyens et des conditions de conservation sociale ; mais il n’en est pas moins vrai qu’à ce titre elles sont des nécessités de premier ordre, et le philosophe n’a voulu que formuler un fait patent et universel. Qui oserait, ne fût-ce que pour quelques jours, supprimer l’une ou l’autre ?

L’acte du châtiment en particulier n’existe-t-il pas déjà dans la conscience humaine à l’état d’instinct ? et n’y a-t-il pas un sentiment du droit pénal qui en précède l’idée ? Dans l’homme rapproché de la nature, dans l’enfant dont l’éducation n’a point modifié les sentimens natifs et soudains, l’injure reçue ne provoque-t-elle pas à l’instant même un fait de réaction qui, sous cette forme primitive et individuelle, s’appelle vengeance ? Si l’homme maltraité est assez fort, il réagit par le talion. Si sa faiblesse le porte à la fuite ou aux larmes, il réclame d’autrui, comme un droit qui lui appartient, la punition de son ennemi. Ce n’est pas par prévoyance et pour lui inspirer plus de

  1. Histoire du Droit criminel des Peuples modernes, considéré dans ses rapports avec les progrès de la civilisation depuis la chute de l’empire romain, par M. Albert du Boys, ancien magistrat ; tomes I et II, chez Auguste Durand.