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posséder, sur tous les points du globe, des stations de refuge, de réparations et de ravitaillement, et en même temps de surveillance politique et d’observations scientifiques. Cette dernière mission est dévolue à une division navale, composée de trois ou quatre bateaux à vapeur, qui se rend tous les ans dans ces parages pour y faire la police du port, protéger et secourir les pêcheurs, assurer l’exécution des règlemens, prévenir les conflits avec les voisins et rivaux. C’est à Saint-Pierre qu’est le rendez-vous de la petite escadre au départ et au retour ; c’est aussi le centre de l’administration maritime. La salubrité du climat donne même à ce séjour un prix particulier pour la division des Antilles, qui vient y chercher un refuge contre les fièvres tropicales. Innovation de ces dernières années, cette migration périodique deviendra une coutume régulière aussi profitable aux équipages qu’à la colonie, qui lui doit la construction de belles routes. L’accès rendu facile de l’intérieur du pays a suscité des demandes de concessions qui annoncent quelques exceptions locales à la stérilité générale du sol.

Le tort de Saint-Pierre et de Miquelon est de n’être pas fortifiés, et de se trouver, en cas de guerre, à la discrétion de l’Angleterre. Aussi la paix est-elle le vœu énergique des populations résidentes et des armateurs, dont la fortune est livrée aux hasards de la politique. Contre cette inquiétante perspective, il semble naturel de recourir aux fortifications, à l’égard desquelles toute liberté est laissée à la France par le traité de 1783, qui n’a pas renouvelé sur ce point les prohibitions insérées dans le traité de 1763. On y a pensé souvent, mais on a toujours reculé devant la rareté et la cherté des matériaux et des ouvriers. Il paraît d’ailleurs impossible d’y constituer une suffisante défense contre les forces que l’Angleterre accumule derrière les murs de Saint-Jean et dans la baie d’Halifax. Les îles françaises, ne pouvant suffire à leur propre subsistance, devraient en outre être alimentées par des convois flanqués d’escortes qui risqueraient fort de tomber au pouvoir de l’ennemi. Il faut donc se résigner à une situation fatale, non sans d’amers retours sur les sacrifices que nous imposèrent les traités du xviiie siècle, et qu’ont maintenus ceux de 1814 et de 1815. On a le droit de s’étonner qu’après la guerre de l’indépendance, terminée par l’émancipation des États-Unis avec le concours de nos armes, le roi Louis XVI, qui semblait pourtant apprécier la marine à toute sa valeur, n’ait pas ressaisi au moins le Cap-Breton, île propre à une longue défense, comme l’attestait le siège de Louisbourg, cette ville vaincue par l’abandon de la France plutôt que par sa propre faiblesse, et dont on eût aisément relevé les ruines, aujourd’hui dispersées par la main des colons anglais, qui ont fondé à Sidney leur nouvelle capitale.