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ses griefs, et dans les cours qui suivirent il s’attacha à montrer les rapports qui existent entre l’économie politique et la morale chrétienne. Le sujet en lui-même renfermait une ironie et pouvait passer pour une leçon ; M. Michel Chevalier ne poussa pas sa revanche plus loin. Pour ce qui le touche, il s’est toujours montré plein de modération ; il n’a eu de l’ardeur que quand ses doctrines lui paraissaient engagées.

Cette circonstance se présenta lorsqu’en 1851 s’ouvrit devant l’assemblée législative une discussion assez importante sur la réforme du tarif des douanes. Les esprits étaient alors médiocrement disposés pour ce débat ; il y avait dans l’air de bien autres sujets de préoccupation. Ce fut un premier motif d’échec ; le second, plus grave encore, était le nom et l’ascendant du champion des tarifs, M. Thiers, qui apporta dans cette défense l’art accompli et la fécondité de ressources qui le distinguent. On peut dire qu’il poussa cette fois le talent jusqu’à l’abus, et que vis-à-vis de l’économie politique il manqua de mesure. Un esprit comme le sien aurait dû comprendre qu’une science dont nos maîtres en beaucoup de choses ont fait la règle de leur conduite ne méritait pas les dédains dont il la couvrit. Il n’avait pas même pour excuse l’incertitude du dénoûment ; dès le début, la bataille ressembla à une déroute. À tort ou à raison, le promoteur du débat (M. Sainte-Beuve) ne fut pas soutenu, et les coups portèrent à peu près dans le vide. Cependant au dehors de l’assemblée les économistes s’étaient émus, et M. Michel Chevalier se rendit l’organe de cette émotion. Au discours de M. Thiers il opposa une réfutation dont le caractère est un ménagement minutieux pour les industries qui prenaient le plus facilement l’alarme. L’auteur s’efforce de les éclairer, de dégager de leurs terreurs ce que ces terreurs ont d’imaginaire ; il voudrait les associer à un mouvement conduit avec prudence, et qui n’aurait rien d’offensif ; il leur démontre par d’irréfutables calculs qu’une réforme n’aurait pas tous les inconvéniens qu’elles en redoutent, et qu’il en sortirait des avantages supérieurs et assurément plus durables. Rien de plus sensé ni de plus conciliant. Malheureusement il y a pour les industries une considération qui domine tous les raisonnemens, c’est la puissance des habitudes. Nulle part la crainte et l’horreur de l’inconnu ne se manifestent avec plus d’énergie ; les industries prétendent vivre comme elles ont vécu, sans plus de trouble ni d’efforts ; elles résistent à tout changement d’état, et s’agitent quand on veut les convaincre. Aussi M. Michel Chevalier en a-t-il été pour ses avances ; les industries remuantes n’ont pas désarmé, on a pu le voir récemment. Les discuter, c’est se déclarer leur ennemi, et d’ailleurs à quoi bon discuter ? Comme une compa-