Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’oliviers et de broussonnetias, arbres rabougris, dont le terne feuillage semble toujours couvert de poussière. La campagne s’appauvrit aux approches de Balaruc-les-Bains, qui est bâti au bord de l’étang de Thau. Les eaux salées de cet étang ont la propriété, comme celles de la mer, d’éloigner toute végétation de leurs bords ; aussi la partie du village qui s’étend sur la rive est-elle peut-être plus triste encore que celle qui s’élève sur la colline dénudée. L’étang de Thau n’offre ni les proportions charmantes d’un lac ni la majesté de la mer. Sans navires et sans vagues, ses flots lourds viennent mourir au pied des garrigues. Les blanches maisonnettes disséminées sans ordre sur la grève semblent abandonnées comme le sol aride qui les entoure. La rive est sans coquillages, la campagne sans verdure, le village sans chansons. La vue des malades attirés par une source thermale célèbre dans le pays, et qui traînent péniblement au soleil leurs membres paralysés, attriste constamment les regards. Les blanches coiffes des sœurs de charité de l’hôpital des bains animent seules le paysage. Semblables à des tombes, des croix de pierre sont posées le long des chemins, comme pour rappeler sans cesse la souffrance et la mort, qui règnent en souveraines dans cet austère hameau.

Dans les visites qu’il fit avec l’abbé Tabourel, Urbain reconnut qu’une grande rivalité régnait entre les autorités de Balaruc. Deux partis, le blanc et le rouge, luttent sans cesse dans les villages du midi. Bon gré, malgré, quelle que soit l’indifférence des nouveau-venus, on les enrôle dans l’un des deux camps, et le jeune homme vit bien qu’il serait obligé sous peu de choisir une couleur. Il suffit d’une simple brouille avec un membre du parti auquel il appartient pour qu’un paysan déserte son camp. La politique est toujours le prétexte du désaccord, dont la véritable cause est néanmoins quelque mesquine affaire d’intérêt. Les femmes ne sont pas étrangères à ces divisions ; le moindre village a deux salles de danse, et une jeune fille se garderait bien de danser à un bal autre que celui de son parti. Il va sans dire que le fiancé est toujours du camp de sa promise, et si l’amour naît entre des jeunes gens de partis différens, ce qui est rare, les parens s’opposent d’ordinaire au mariage.

Le curé de Balaruc était blanc, et le maire rouge. Ennemis acharnés, ils se disputaient le pouvoir et l’influence dans la commune ; le futur instituteur comprit qu’ils se disputeraient bientôt aussi sa personne.

Le maire était un gros homme, aux épaules carrées ; à la taille athlétique, aux épais favoris, aux sourcils proéminens. L’adjoint, petit et roux, avait l’air de sortir de sa poche ; il approuvait du geste tout ce que disait son chef de file, et trottinait derrière lui