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dimanche, tandis qu’à son tour le fonctionnaire municipal le conduisait à la société du village. Couvert par cette haute protection, Urbain put prendre sa part de ce club au petit pied sans grever son pauvre budget des quinze francs exigés pour la cotisation annuelle.

C’est à ce club villageois que le maire allait faire sa partie quotidienne de billard avec son adjoint, qui, tout en s’évertuant de son mieux, n’avait jamais réussi à battre le gros fonctionnaire. C’est là que le dimanche le païre[1] de Fresquily et ses valets allaient jouer à l’hôpital (la bataille). Le médecin des environs, fatigué d’une longue tournée, se reposait au club de Balaruc, où il dictait ses ordonnances au pharmacien, qui, cumulant les fonctions d’apothicaire, et de cafetier, lui servait un cruchon de bière tout en prenant note d’une potion. Là les laboureurs du voisinage venaient payer le carthagène[2] aux paysans, flattés de trinquer avec eux. Là enfin le capélan trouvait à faire sa partie de quatrète ou de sizette[3] avec les chapeaux noirs (notables) des environs. À l’opposé des cercles citadins, la société de Balaruc se fermait de très bonne heure, et le panar, qui avait conservé l’habitude de se coucher assez tard, fut fort heureux de quelques livres que le médecin voulut bien lui prêter pour occuper les dernières veillées de l’hiver.

Pendant que les rouges adoucissaient ainsi la position du jeune homme, les persécutions du curé redoublaient. L’abbé Tabourel régnait sans partage à Balaruc-le-Vieux, qui, appartenant tout entier au parti blanc, lui était dévoué. Il serait superflu d’énumérer les tracasseries de toute sorte auxquelles Urbain dut opposer une résignation inaltérable. Un seul exemple, suffira pour montrer quelles proportions peut prendre la lutte de la cure et de l’école dans un village du midi.

Le printemps allait venir et ramener les processions. Urbain attendait avec impatience cette époque de l’année, où il espérait trouver l’occasion de voir souvent Catha. C’était le panar qui devait décorer l’autel portatif, diriger la marche des acolytes, soutenir les chœurs des dévotes, et il comptait beaucoup sur cette occasion pour reprendre une certaine autorité individuelle et échapper au joug qui l’opprimait.

  1. Les bras manquant dans une contrée où chaque paysan est occupé la plupart du temps a cultiver son bien, les gros propriétaires sont obligés d’avoir des valets, c’est-à-dire des ouvriers à l’année qui abandonnent de pauvres et lointains pays pour se louer à la Saint-Michel dans les riches villages du Bas-Languedoc. Le païre est une espèce de contre-maître qui les fait lever à l’heure matinale, les conduit et les surveille au travail. La maïre est la ménagère de la colonie. Le bâtiment affecté à cette communauté s’appelle ménagerie ou ramonnaitage.
  2. Liqueur parfumée au girofle.
  3. La sizette est une espèce de whist joué a six ; la quatrète est aussi un whist villageois, où les joueurs indiquent à haute voix leurs jeux à leur partner.