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marques ; en cas de doute, le buffle est divisé par portions égales entre les chasseurs intéressés.

« La chasse ne dura qu’une heure environ, sur un espace de cinq ou six milles carrés, qui se trouva jonché de cinq cents buffles morts ou mourans. Mon cheval, qui avait fourni une longue course, fut tout d’un coup face à face avec un énorme buffle ; il fit un écart, plongea les jambes dans un fossé, tomba et me jeta à terre avec une telle violence, que je fus complètement étourdi. On releva cependant mon cheval, et je fus de nouveau eu selle ; mais je devais me féliciter de mon heureuse chance, car à quelques pas de moi gisait un autre chasseur qui avait été démonté de la même façon, et que l’on ramena au camp à moitié mort. — Après cet incident, je rejoignis la chasse, et cette fois j’eus la satisfaction d’abattre un buffle de mon premier coup de feu. Excité par le succès, je repartis au galop, et déchargeai mon fusil sur un autre buffle d’une taille plus qu’ordinaire. L’animal ne tomba pas ; il s’arrêta, me regarda en face avec des yeux féroces et en labourant la terre de ses pieds. Cependant le sang coulait à longs flots de son mufle, et je pensai qu’il ne tarderait pas à s’abattre. Sa pose était en vérité si belle, que je ne pus résister à la tentation de prendre mes crayons. Je descendis donc de cheval ; mais à peine avais-je commencé mon esquisse que le buffle se rua vers moi. J’eus tout juste le temps de remonter sur ma bête et de m’esquiver au galop, laissant là fusil, album et le reste. L’animal se précipita furieux à la place que je venais de quitter, foula aux pieds mon petit bazar, et opéra ensuite sa retraite vers le gros du troupeau. Je repris immédiatement mes armes, je le poursuivis et lui lâchai un second coup de fusil ; cette fois il demeura immobile sur ses jambes assez longtemps pour qu’il me fût possible de le dessiner sur mon album. Cela fait, je retournai au camp avec les langues des buffles que j’avais tués ; ce sont là, suivant l’usage, les trophées du chasseur. »


Les Indiens emploient encore d’autres procédés pour prendre les buffles. Ils disposent un enclos avec des palissades en bois, présentant sur un des côtés une ouverture de 3 à 4 mètres de large. Lorsqu’un troupeau est signalé dans le voisinage, un Indien, monté sur un cheval très rapide, se porte sous le vent et allume les herbes, dont la fumée éloigne les buffles. Le cavalier se place alors sur le flanc du troupeau et galope à toute vitesse. Il arrive toujours que, par une sorte d’instinct irrésistible, les buffles cherchent à dépasser le cheval. La course s’engage ainsi, et, pour peu que l’Indien soit habitué à cet exercice, il réussit aisément à entraîner la bande dans la direction de l’enclos. Les buffles, se précipitant par l’ouverture qui est ménagée dans la palissade, s’entassent pêle-mêle dans l’étroit espace, où les Indiens les tuent à coups de flèche. Ce n’est pas une chasse, mais un massacre. Cette hécatombe est précédée de prières par lesquelles les peaux-rouges invoquent la protection du Grand-Esprit, et accompagnée de cérémonies et de chants pieux exécutés par quelque sorcier. M. Kane a vu plusieurs de ces enclos où les