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Turin et de l’argent piémontais. Le roi de Sardaigne, qui est aujourd’hui l’allié de la France, sera peut-être un jour avec l’Autriche, comme l’ont fait tant de fois ses ancêtres. » Et moi, comme Italien, je demanderai à mon tour si c’est bien sérieusement avec de telles hypothèses qu’on peut expliquer les faits accomplis en Italie depuis quelques mois. Est-ce avec des émissaires quelconques, en répandant un peu d’argent, dont le Piémont me paraît avoir besoin pour bien d’autres choses, qu’on parvient en quelques jours à former l’opinion de la grande majorité, à obtenir l’assentiment des hommes les plus éminens d’un pays? Représentant du gouvernement de Florence à Turin après la paix de Villafranca, justement à l’heure où l’assemblée de la Toscane se réunissait, je n’ai jamais vu chez les ministres du roi de Sardaigne qu’un désintéressement sincère et un entier patriotisme. La vérité est que dans l’Italie centrale tout le monde a conspiré contre l’ancien ordre de choses. On a compris que le Piémont seul, avec son armée, avec le prestige de sa monarchie, pouvait diriger l’émancipation italienne, et donner des garanties d’ordre et de sécurité pour l’avenir. S’il est vrai, comme la raison et l’expérience le démontrent, que les Italiens veulent former dans le nord de la péninsule un état assez fort pour résister à l’étranger et défendre efficacement l’indépendance de la nation, il ne peut y avoir de moyen plus simple, plus sûr, plus conforme à l’objet qu’on se propose, que l’agrandissement du Piémont. C’est ainsi que tous les grands états se sont formés, et nous prétendons même avoir aujourd’hui sur nos grands prédécesseurs l’avantage d’employer des procédés plus libres et plus naturels.

Mais alors, ajoutent nos bienveillans contradicteurs, vous renoncez donc à votre autonomie, à toutes vos gloires, en vous soumettant au peuple le moins italien qui existe? — S’il s’agit de nos anciennes gloires, nous ne les perdons pas, et ce n’est point parce qu’un pays a une belle armée, parce qu’il se fait respecter de l’étranger, qu’on estime moins ses grands hommes et leurs œuvres. Nous cherchons l’indépendance qui constitue la force, la liberté, la vie d’un peuple, et sans laquelle les gloires ne sont le plus souvent que des titres à la commisération ou à la cupidité étrangère quelquefois. Nous avons certainement notre génie naturel, et nous n’y renonçons nullement. Qu’on nous laisse faire, nous nous garderons bien de créer un état qui ressemble à une réunion de départemens avec un seul centre absorbant, et en cela nous ne ferons que nous conformer à nos traditions. Ce n’est pas au hasard qu’on a prononcé parmi nous le nom de royaume-uni. Libres, nous travaillerions à développer nos institutions provinciales et municipales en étendant leurs attributions ; nous mettrions de l’émulation entre nos écoles des beaux-arts, nos académies, nos universités, et au lieu d’un seul phare brillant, nous aurions la lumière répandue sur toute la surface du pays. Le royaume-uni devrait avoir une seule armée, une même politique extérieure et le plus d’unité possible dans les relations d’intérêts matériels; mais en même temps, qu’on en soit sûr, en poursuivant ce résultat, gage de notre indépendance nationale, nous mettrions toute notre intelligence et peut-être trouverions-nous notre gloire dans le libre développement de la vie propre aux différentes parties de ce royaume.

Il est, je le sais, une dernière objection qui, sans être plus juste et plus sérieuse que les autres, est d’un ordre plus délicat et peut devenir une