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politique et de la solide assiette du gouvernement. Il va sans dire que, pour que l’argent se montre, pour qu’il y ait du crédit et par conséquent du travail, il faut qu’on se croie pour un temps raisonnable à l’abri des agitations politiques. Je parle ici d’une sécurité d’une autre nature, que tout gouvernement peut donner, simplement en se renfermant dans son rôle essentiel, qui consiste à respecter et à défendre la liberté du travail. Les gouvernemens tracassiers, qui, même avec des intentions droites, imposent à l’industrie leurs vues ou celles de leurs agens, n’arrivent, par l’excès de leurs précautions, qu’à entraver les affaires qu’ils voudraient faciliter, parce qu’il est de règle générale qu’on n’affronte pas la responsabilité sans autorité, c’est-à-dire ici sans liberté. Le commerçant veut être sûr avant tout qu’on ne tarifera pas ses produits, qu’on n’en défendra pas l’exportation, qu’on ne lui imposera aucune méthode, qu’on n’interviendra pas dans les arrangemens qu’il conclut avec ses cliens et ses ouvriers. Entreprendre, c’est oser, et il n’y a que le sentiment de la liberté qui donne de l’audace.

Quand les ouvriers veulent faire leurs affaires eux-mêmes, porter remède eux-mêmes aux inconvéniens de leur situation, ils font ordinairement tout le contraire de ce qu’il faudrait, c’est-à-dire qu’au lieu de donner de la sécurité au commerce, ils l’effraient, et qu’au lieu de lui donner de la liberté, ils lui imposent des règlemens. Ils appellent cela organiser le travail, opération qu’on pourrait définir ainsi : la règle substituée à la liberté dans toutes les questions qui concernent l’industrie et le commerce. Pour qu’un système fondé sur ce principe pût être bon, il ne faudrait rien moins que les trois conditions suivantes : 1° que la règle prévît toutes les fluctuations possibles du marché, 2° que la privation de la liberté dans les transactions ne fût pas par elle-même une souffrance très réelle, souffrance dont l’intensité augmente en raison directe de la moralité et de la capacité de celui qui la subit, 3° que les patrons fussent tous millionnaires, capables de supporter toutes les concurrences sans demander aucun sacrifice à la main-d’œuvre, et profondément indifférens sur le chapitre des profits et pertes. Quand ces trois conditions seront remplies, l’amélioration du sort des travailleurs par l’organisation du travail cessera d’être une utopie.

Ces vérités paraissent si évidentes à ceux qui les admettent, qu’on est toujours surpris des contradictions qu’elles soulèvent. Cependant il faut bien avouer qu’elles ont été ignorées pendant des siècles, qu’elles trouvent à l’heure qu’il est beaucoup d’incrédules, et que la liberté, partout si méconnue, l’est peut-être encore plus dans les ateliers qu’ailleurs. Le premier mot des ouvriers, quand par hasard ils sont un moment les maîtres, est toujours celui-ci : réglementation.