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que la durée de l’apprentissage ne se mesure pas sur la difficulté du métier. Des trois corporations de patenôtriers, qui faisaient le même travail avec des matériaux différens, l’une ne demandait à l’apprenti que six ans de son temps, pendant qu’une autre en exigeait douze. Il fallait aussi acheter par douze ans d’apprentissage le droit d’exercer le métier facile de tréfileur d’archal.

Voyons maintenant ce qui concerne la condition des ouvriers, qui portèrent d’abord le nom de valets, et prirent plus tard celui de compagnons, quand ils commencèrent à former entre eux des confréries pour se séparer des maîtres et se défendre contre leur despotisme. Leur nombre n’était pas limité, par là raison qu’il fallait, pour être ouvrier, avoir passé par l’apprentissage ; mais plusieurs corporations avaient prévu le cas où un riche fabricant voudrait accaparer tous les profits de la profession en embauchant un trop grand nombre d’ouvriers à la fois. Au reste, les règlemens variaient de ville en ville et de corporation à corporation. Quelquefois l’apprentissage fait dans une ville ne donnait pas le droit de travailler dans une autre. Dans la plupart des professions, l’apprenti, après avoir achevé son temps, ne pouvait devenir ouvrier qu’en subissant une sorte d’examen ou en faisant un chef-d’œuvre. Presque toujours il fallait payer un droit d’entrée pour obtenir son premier livret. On prescrivait en outre un costume convenable ; certaines corporations importantes exigeaient que tout valet eût « au moins cinq robes en bon état ; » le mot donne la date. Il est évident que des corporations défendues par un long apprentissage, par l’obligation coûteuse du chef-d’œuvre et de nombreuses exigences fiscales, étaient inaccessibles aux dernières classes de la population, et qu’un valet-ouvrier était déjà un privilégié.

Triste privilégié, il est vrai, car le monopole créé au profit des maîtres et organisé par eux réduisait tout sous leur joug et mettait tous les membres de la communauté à leur discrétion. Chaque matin, sous peine de forfaiture, les ouvriers non engagés se rendaient sur la place assignée à leur corporation, et là les maîtres les embauchaient à la journée, au mois ou à l’année. Le contrat fait ne pouvait être rompu de part ni d’autre. Les règlemens fixaient le commencement et la fin de la journée de travail, le temps de chaque repas. Les ouvriers ne pouvaient, dans un moment de presse, se refuser à un travail de nuit. Sortis de l’atelier, ils n’échappaient pas au règlement ; ils devaient rentrer dans leur logis à heure fixe, assister le dimanche à la messe. Quoique régulièrement reçus compagnons, il leur était défendu, sous des peines sévères, de travailler en chambre et pour une pratique ; il fallait être embauché par un maître du métier ou demeurer oisif et attendre en mourant de faim