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droits d’étalage. S’il étend ses affaires, les péages absorbent la majeure partie de ses bénéfices. Rien que pour le court trajet qui sépare Bercy du quai de la Grève, le muid de vin n’acquitte pas moins de seize droits différens, et cela au milieu du XVIIe siècle. En 1659, une balle de camelot de Lille, pesant deux cent trente-deux livres, payait en divers endroits, pour arriver à Lyon, 203 livres 15 sous 3 deniers, sans compter les deux droits de douane de Valence et les 6 deniers pour livre. Tout devient contre le chef d’industrie occasion de fiscalité : le mariage du roi, la naissance d’un prince, la guerre, la paix. Il n’y a pas d’événement public qui ne fournisse au roi ou au seigneur un prétexte pour le rançonner. Il est d’ailleurs gêné dans sa fabrication par un amas confus de règlemens qui portent sur la matière, sur les quantités, sur la méthode ; dans sa vie intime, par des lois somptuaires ; dans son travail, par l’obligation d’avoir un atelier ouvrant sur la rue, d’éteindre sa forge ou sa lumière à des heures déterminées ; dans sa vente, par la marque de fabrique, la marque de commerce, les halles privilégiées, le tarif dans ses transactions, par l’interdiction presque générale, et assez constante, du prêt à intérêt[1] ; dans son crédit de commerçant, par le contrôle perpétuel des gardes du métier, du prévôt, des échevins, du procureur du roi et des parlemens. Comment résister à toutes ces causes de ruine ? Il n’a qu’une ressource, le monopole. Il est presque excusable de le maintenir avec un soin jaloux, puisque sans lui il périrait. Il faut que les gardes du métier, et tous les maîtres avec eux, soient sans cesse attentifs à ne pas accepter de nouveaux venus, à ne pas permettre d’empiétement d’une corporation sur une autre, à réprimer sur-le-champ les tentatives d’un collègue qui voudrait accaparer la vente par le bon marché ou par la meilleure production. Les conséquences directes de ce système sont donc de fermer aux pauvres les ressources du travail et du commerce, de faire naître l’antagonisme entre les corporations, entre les maîtres dans la même corporation, de maintenir la routine dans la fabrique, les prix élevés dans la vente, — avec tout cela, de laisser les privilégiés à la merci de l’arbitraire royal et du pouvoir discrétionnaire des magistrats.

Maintenant, comme il y a un bon côté en toutes choses, je confesse que les corporations ne laissaient pas tomber les veuves et les orphelins dans l’indigence. J’ose à peine ajouter que cela faisait partie de leur égoïsme, et que ces mêmes jurés qui répandaient dans le sein de la communauté des charités si abondantes dénonçaient au

  1. En 1547, le conseil de ville rejeta le projet de l’établissement d’une banque à Paris, « parce que ladite banque était contre la loi de Dieu, autorisant l’usure. »