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peut que végéter sous le régime de la réglementation, et que l’état d’enfance où elle était tombée au XVIIe siècle, malgré le génie inventif de la nation et les efforts de Henri IV et de Colbert, était l’infaillible résultat de la substitution en tout et partout, pendant un grand nombre de siècles, de la réglementation à la liberté. Il n’y a pas de démonstration qui vaille l’histoire ainsi faite et ainsi présentée. M. Levasseur apporte dans ses appréciations une indulgence qui paraît souvent excessive, quoiqu’elle soit la marque d’un esprit très élevé et très libre, et cette indulgence donne encore plus d’autorité à la condamnation qu’il prononce contre le système des corporations.

Cependant, depuis la fameuse séance de l’assemblée nationale qui a consacré l’œuvre de Turgot (15 février 1791), deux phénomènes parallèles se sont produits dans la législation et dans la théorie, qui paraissent en contradiction avec toutes les données de la philosophie et de l’histoire. La législation a diminué tant qu’elle a pu la liberté, puisqu’elle a successivement créé les patentes, réglementé la boulangerie, soumis les limonadiers au régime du bon plaisir, remis en vigueur les règlemens anciens relatifs à l’exercice de la pharmacie et de la médecine, à l’ordre des avocats, aux notaires, aux agens de change, rétabli avec la plupart de ses attributions la direction de la librairie et de l’imprimerie, dont il est naturel de rapprocher la censure dramatique et les privilèges de théâtres, créé pour les colporteurs une législation préventive dont on connaît la sévérité, conservé le monopole du tabac, des cartes à jouer, organisé toute une administration pour surveiller la vente des armes et de la poudre, celle des drogues, celle des boissons et des denrées alimentaires, limité les heures de travail dans les ateliers, rendu au gouvernement le droit de permettre ou de défendre l’exportation, d’imposer même dans certains cas ses tarifs, fixé par une loi le taux de l’intérêt de l’argent, etc. On peut voir l’énumération de toutes ces mesures restrictives dans un livre publié il y a déjà quelques années, mais qui n’a pas vieilli, la Liberté du travail, par M. Dunoyer. C’est là qu’il faut se donner le spectacle de tout le chemin que notre législation a fait en arrière depuis la séance du 14 juin 1791, où Chapelier, confondant l’association volontaire, qui est une des conditions de la liberté, avec les corporations, qui sont la forme même de la servitude, fit porter par l’assemblée nationale un décret qui, s’il était obéi, réduirait toutes les forces individuelles à l’isolement, et conséquemment à l’impuissance. Au moins peut-on dire que l’état a cédé, en agissant ainsi, à des nécessités fiscales et au désir de maintenir l’ordre par des précautions sévères ; mais ce qui est moins explicable, c’est le courant d’idées qui, depuis la révolution jusqu’à nos jours, n’a cessé de se manifester dans les ateliers en