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Et qui, pour y pouvoir poser l’ange azuré,
Fait croître jusqu’aux cieux l’Éden démesuré!

Jours inouïs! le bien, le beau, le vrai, le juste,
Coulaient dans le torrent, frissonnaient dans l’arbuste;
L’aquilon louait Dieu de sagesse vêtu;
L’arbre était bon; la fleur était une vertu;
C’est trop peu d’être blanc, le lis était candide;
Rien n’avait de souillure et rien n’avait de ride;
Jours purs! rien ne saignait sous l’ongle et sous la dent;
La bête heureuse était l’innocence rôdant;
Le mal n’avait encor rien mis de son mystère
Dans le serpent, dans l’aigle altier, dans la panthère;
Le précipice ouvert dans l’animal sacré
N’avait pas d’ombre, étant jusqu’au fond éclairé;
La montagne était jeune et la vague était vierge;
Le globe, hors des mers dont le flot le submerge,
Sortait beau, magnifique, aimant, fier, triomphant.
Et rien n’était petit quoique tout fût enfant;
La terre avait, parmi ses hymnes d’innocence,
Un étourdissement de sève et de croissance;
L’instinct fécond faisait rêver l’instinct vivant;
Et, répandu partout, sur les eaux, dans le vent.
L’amour épars flottait comme un parfum s’exhale;
La nature riait, naïve et colossale;
L’espace vagissait ainsi qu’un nouveau-né.
L’aube était le regard du soleil étonné.


III.


Or, ce jour-là, c’était le plus beau qu’eût encore
Versé sur l’univers la radieuse aurore;
Le même séraphique et saint frémissement
Unissait l’algue à l’onde et l’être à l’élément;
L’éther plus pur luisait dans les cieux plus sublimes;
Les souffles abondaient plus profonds sur les cimes ;
Les feuillages avaient de plus doux mouvemens,
Et les rayons tombaient caressans et charmans
Sur un frais vallon vert, où, débordant d’extase.
Adorant ce grand ciel que la lumière embrase,
Heureux d’être, joyeux d’aimer, ivres de voir.
Dans l’ombre, au bord d’un lac, vertigineux miroir,