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accepter cette idée, et l’on convint de s’en occuper à la première rencontre. Il réfléchit en attendant et jeta sur le papier ses premières réflexions. Cette esquisse, communiquée à ses amis, lui valut le conseil de poursuivre son travail, et c’est ainsi qu’il fut conduit à entreprendre un grand ouvrage.

Nous possédons encore le premier jet de sa pensée. Locke aimait à prendre note de ses méditations accidentelles sur des questions importantes. Il tenait des journaux, il dressait des registres où il insérait des souvenirs, des observations, des citations. Il avait même une méthode pour former des recueils, dont il se servit pendant une grande partie de sa vie, qu’il publia dans un journal de Hollande, et qu’on peut voir dans ses œuvres et dans l’Encyclopédie. Lord King nous a fait connaître par d’abondans extraits ces sortes de mémoires intellectuels où se montre dans sa vérité intime la nature philosophique de Locke mieux peut-être que dans ses livres. C’est à lui que nous devons le plus précieux article du recueil que Locke appelait son livre de lieux-communs (Common-place Book).

Ceux qui ont lu un des écrits les plus originaux de Bacon, ses Réflexions et ses Vues sur l’interprétation de la nature (Cogitata et Visa), se rappellent que chacun des dix-neuf paragraphes qui le composent commence invariablement par cette formule : Franciscus Baconius sic cogitavit… Cogitavit et illud… Locke, qui ne cite point Bacon, intitule ainsi un des articles de son recueil : Sic cogitavit de intellectu humano Johannes Locke, an. 1671. — Intellectus humanus cum cognitionis certiludine et assensus firmitate. Et il continue en anglais : « Premièrement, j’imagine que toute connaissance a pour fondement et pour dernière origine le sens ou quelque chose d’analogue, et qu’on peut appeler sensation le produit de nos sens mis en rapport avec les objets particuliers, ce qui nous donne les idées simples ou simples images des choses, et c’est ainsi que nous venons à avoir des idées de chaleur et de lumière, de dur et de mou, qui ne sont rien que la renaissance dans notre esprit des imaginations que ces objets, en affectant nos sens, ont causées en nous, — que ce soit par un mouvement ou autrement, c’est ce qu’il n’importe pas ici de considérer. — Et c’est ainsi que nous faisons, quand nous concevons la chaleur ou la lumière, le jaune ou le bleu, le doux ou l’amer, et conséquemment je pense que les choses que nous appelons qualités sensibles sont les idées les plus simples que nous ayons et le premier objet de notre entendement. »

Il paraît que, docile aux conseils de ses amis, il commença dès lors à écrire sur ce sujet un essai dont la première copie qui existe encore est de cette date. Il aurait donc gardé ce grand ouvrage plus de dix-huit ans avant de le publier, et il ne cessa jamais de le corriger.