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en conséquence à un article qui ne permettait pas de construire d’édifices pour une autre église que l’église anglicane. On notera que ces règlemens d’un genre si nouveau précédèrent de quelques années ceux que William Penn donna à la Pensylvanie, et que celui-ci put s’éclairer de l’exemple et des conseils de Locke, son ancien condisciple à l’université. En permettant, en autorisant ces institutions remarquables, l’indifférence sceptique de Charles II, ou même son secret désir d’expatrier les puritains, jetait sur une terre vierge les germes de la noble liberté religieuse des États-Unis. Elle s’y est maintenue, même après que des troubles intérieurs eurent décidé la Caroline à se replacer sous le pouvoir direct de la couronne, et à former deux colonies constituées séparément (1693) ; car si la législation de Locke n’a pas duré, son esprit s’est perpétué ; puisse-t-il régner à jamais ! En Angleterre, là où le mot de tolérance avait été souvent, accueilli avec malédiction, même dans les congrégations dissidentes, de telles nouveautés ne pouvaient être projetées sans scandale, même pour des plantations situées au-delà des mers, et, longues années après, le docteur Waterland, l’habile défenseur du dogme de la Trinité, signalait comme le chef du latitudinarisme le législateur de la Caroline, et retrouvait le déisme de lord Herbert de Cherbury dans la tentative de réunir sous la même loi toutes les sectes, en n’excluant que les athées.

Locke devait faire un jour un traité de politique philosophique : il commença par esquisser une constitution. Il devait composer un ouvrage sur l’éducation : il commença par faire des élèves, ou plutôt il donna quelques soins à l’éducation du fils unique de lord Shaftesbury. Voyant que ce jeune homme était d’une santé délicate, il conseilla à son père de le marier à l’âge de seize ans, et s’occupa lui-même de cette union, qui donna naissance à sept enfans. L’aîné de ceux-ci, le futur héritier de la pairie, Anthony Cooper, dut aussi plus tard entendre de la bouche de Locke quelques-uns de ces discours que la jeunesse peut prendre pour des leçons ; mais il ne l’eut jamais, quoi qu’on en ait dit, pour précepteur. On peut même inférer de quelques circonstances que le spirituel auteur des Caractéristiques, élevé dans sa famille à respecter le conseiller et l’ami de son grand-père, ne lui fut jamais attaché que par un devoir de tradition et des habitudes d’intimité, sans qu’une gratitude directe, une sympathie personnelle, vinssent animer les sentimens qu’il lui portait. Nous le verrons dans ses écrits éviter soigneusement de laisser croire que Locke fût son maître, rendre un assez froid hommage à son caractère et à ses talens, approuver vaguement ses idées sur la politique, la tolérance, l’éducation, le commerce, la