Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Ormea, qui dissipait tous ses doutes et lui rendait la tranquillité. Un jour le représentant impérial alla droit au ministre piémontais, et, sans plus de diplomatie, il lui demanda ce qu’il y avait de fondé dans le bruit d’une alliance contre l’Autriche. Le marquis d’Ormea le pria négligemment de mettre par écrit sa question, et le comte Filippi écrivit en effet ces mots : « Est-il vrai que le roi de Sardaigne ait contracté une alliance avec la France et l’Espagne ? » Le ministre piémontais répondit également par écrit et d’une main ferme : « Cette alliance n’existe pas. » Et le marquis d’Orméa disait vrai dans une certaine mesure diplomatique. Le traité avec l’Espagne n’existait pas ; le cardinal de Fleury n’avait pu que promettre l’accession de la cour de Madrid, mais le traité avec la France existait déjà. L’Autriche avait été si habilement endormie que le gouverneur du Milanais, le comte Daun, voyant les mouvemens de l’armée piémontaise et les supposant dirigés contre la France, fournissait au roi Charles-Emmanuel des vivres pour ses troupes et lui offrait dix mille soldats. Un mois n’était point écoulé que les armées alliées de la France et du Piémont prenaient position à Vercelli, à Mortara et à Vigevano, et la campagne s’ouvrait contre l’Autriche. On était aux derniers jours d’octobre 1733.

Le vieux maréchal de Villars, avant de quitter Versailles pour aller prendre le commandement de l’armée française d’Italie, sous les ordres supérieurs de Charles-Emmanuel III, avait dit qu’il voulait donner l’opéra à Milan avant le carnaval. S’il ne donna pas l’opéra à Milan, il aurait pu le donner. La conquête de la Lombardie fut accomplie en 1733 presque aussi rapidement qu’elle vient de l’être sous nos yeux, avec une différence toutefois : c’est qu’en 1733, l’Autriche se trouvait surprise et peu préparée à se défendre, tandis qu’aujourd’hui elle était formidablement armée pour la lutte, — ce qui tendrait d’ailleurs à rendre l’expérience plus complète, et a dû conduire l’Autriche à reconnaître que, surprise ou préparée, faible ou puissamment armée, elle ne peut sauver la Lombardie toutes les fois qu’elle ne parvient pas à faire disparaître la question de sa prépondérance en Italie dans une plus vaste conflagration européenne. En deux mois, le Milanais tout entier restait aux mains des alliés ; les places fortes tombaient l’une après l’autre. Le jour où le roi de Sardaigne passait le Tessin, des députés de Milan, accompagnés de l’archevêque et du clergé, arrivaient au camp piémontais pour présenter à Charles-Emmanuel III les clés de la ville, abandonnée par les Autrichiens, en le suppliant d’épargner au pays les rigueurs de la conquête, de maintenir les lois et les institutions de l’état. Charles-Emmanuel les reçut gracieusement, en roi qui veut se faire aimer, non en vainqueur qui dispose d’une province conquise, et le 10 décembre il entrait à Milan à la tête de ses gardes,