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— avec des arsenaux ouverts du côté de la terre, avec une escadre à vapeur à peine égale, c’est-à-dire relativement inférieure à la nôtre et encore insuffisamment équipée, enfin avec une armée régulière qui ne peut pas donner un effectif de plus de quarante mille hommes. Que l’Angleterre se fût laissé ainsi attarder dans ses défenses, nous ne devrions pas nous en étonner, nous Français, qui avons pu voir en Crimée comment les Anglais se laissent surprendre par la guerre et s’y engagent avec des préparatifs insuffisans. Tout le monde sait que si l’Angleterre est toujours formidable à la fin d’une guerre, elle n’est jamais prête au commencement. Cela tient à la nature de son gouvernement et à l’esprit d’économie qu’un peuple commerçant et gouverné par un parlement apporte toujours dans le budget si coûteux et si improductif de la marine et de l’armée. C’est contre cette tendance excessive et cette imprévoyance habituelle, qui pouvaient à un moment donné affaiblir son gouvernement et même compromettre d’une façon dangereuse la sécurité nationale, que l’opinion anglaise a voulu réagir et se prémunir. Qui a pris l’initiative de ce mouvement d’opinion ? Ce ne sont point, comme M. de Morny paraît le croire, de vulgaires démagogues et des hommes politiques sans conscience cherchant à se faire un capital de popularité avec les frayeurs de leur pays excitées par des calomnies contre la France ; ce sont des hommes d’état dont la scrupuleuse honorabilité n’a jamais été soupçonnée, c’est lord Derby et sir John Packington, nommant une commission spéciale pour étudier la situation respective de la marine anglaise et de la marine française, ce sont les membres de cette commission publiant il y a quelques mois les résultats statistiques de leur enquête ; c’est un officier supérieur, le général Kennedy, étudiant en militaire les défenses de l’Angleterre ; c’est enfin un vieillard imposant par l’éclat de sa longue carrière publique et le mâle talent qu’il a conservé jusque dans sa quatre-vingt-sixième année, lord Lyndhurst, qui, dans son éloquent discours, rappelait avec un patriotisme si touchant que, quant à lui, son âge le mettait à l’abri des dangers qu’il voulait détourner de son pays. Nous regrettons que M. de Morny ne se soit point borné à donner au nom de la France des assurances pacifiques qui devaient infailliblement être bien reçues en Angleterre, et qu’il se soit trop abandonné lui-même à cette irritation d’humeur qu’il reprochait précisément à nos voisins. Le mieux est de laisser ces âpres et dangereuses controverses s’user avec le temps et tomber d’elles-mêmes. Cessons de tant nous occuper de nos voisins. Que les Belges fortifient Anvers, puisque c’est la mode des fortifications ; que la commission nommée par le ministère anglais pour étudier les moyens de défense du royaume-uni fasse son œuvre, que la jeunesse de Londres s’enrôle en brigades de riflemen : si c’est à ce prix que Belges et Anglais croient pouvoir acheter leur sécurité, que nous importe, puisque nous ne méditons aucune invasion et puisque nous n’en redoutons aucune ? Pendant le temps que prendront ces préparatifs de guerre, nous aurons, quant à nous, suivi les conseils de M. de Morny : nous aurons mis la paix à profit ; nous aurons imprimé une saine activité à notre industrie, nous aurons conquis et nous conserverons « ces libertés qui font de l’homme le maître absolu de son bien, et qui n’ont de limites que le tort fait à autrui. » En agissant ainsi, nous persuaderons nos