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On y voit s’évanouir les difficultés sous l’effort combiné de l’influence et de la souplesse ; puis, quand le moment est venu de décider le duc de Savoie dans une affaire qui touche d’aussi près aux convenances personnelles de sa fille, et de faire agir M. de Torcy, promptement rallié à la candidature agréée par Mme de Maintenon, la princesse des Ursins trace pour l’usage de ce ministre un programme que ne désavouerait pas un diplomate blanchi dans la poussière des chancelleries[1].

Un siège ainsi conduit ne pouvait manquer de réussir. Les lettres de la princesse à la maréchale, si calculées dans tout le cours de la poursuite, sont après la victoire l’expression naturelle et presque naïve de la joie inspirée par un succès qu’on se promet de part et d’autre de rendre fructueux. C’est la nature prise sur le fait. Comme d’ailleurs on n’est pas femme impunément, Mme des Ursins s’arrête avec complaisance sur la description du fabuleux cortège qu’elle se prépare. D’innombrables laquais, une légion de gentilshommes et de pages, tous en mesure de faire leurs preuves pour Malte, des fiocches et des carrosses bosselés d’or, une suite que ne prendrait pas de nos jours un souverain, et qui dévore les restes de sa fortune, toutes ces merveilles, par lesquelles on se propose de conquérir à la dynastie nouvelle l’admiration des Espagnols,

  1. « Je n’ose pas, madame, laisser passer deux ordinaires de suite sans vous parler de mon affaire ; mais, comme je n’ai rien de nouveau à vous apprendre, je me donnerai seulement l’honneur de vous communiquer quelques réflexions que j’ai faites. Il est certain que le succès de tout cela dépend de M. le duc de Savoie ; vous m’en avez assez écrit pour le comprendre, et, outre cela, la chose se dit d’elle-même. Je cherche donc les moyens de gagner l’esprit de ce prince, qui, dans le fond, ne devroit pas avoir la moindre répugnance à me préférer à toute autre. Cependant, comme je ne puis rien me promettre d’assuré sur sa lettre, que je me suis donné l’honneur de vous envoyer, je veux vous proposer une chose qui ne commettroit nullement le roi, et qui néanmoins détermineroit sûrement son altesse royale. C’est, madame, que M. de Torcy, de son chef et sans y intéresser le nom du roi en rien, voulût, par manière de conversation, demander à l’ambassadeur de Savoie, qui est à Paris, quelle est la personne que son maître destine à cet emploi, et qu’il voulût bien me nommer comme m’y trouvant assez propre. Les ambassadeurs tiennent registre de tout, et ils informent leurs souverains des moindres choses qu’ils entendent dire aux ministres. Celle-ci seroit prise comme une insinuation qui sûrement détermineroit M. le duc de Savoie à faire ce que nous souhaitons, en lui laissant néanmoins une pleine liberté d’agir à sa fantaisie. Je soumets cette idée à votre prudence, et si elle vous paroît juste, vous la tournerez comme il vous plaira, car vous êtes plus habile que moi, etc. » Janvier 1701. Recueil de M. Geffroy, p. 90.