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dans une subordination calculée envers celui-ci, et la discipline de Beauvilliers et de Fénelon, qui avait brisé le caractère violent du duc de Bourgogne, avait produit des effets plus sensibles encore dans l’âme mélancolique de son frère cadet. Avec une rectitude naturelle dans la pensée et une fierté où éclatait parfois l’orgueil de son sang, Philippe V avait au même degré que son neveu Louis XV, auquel il ressemblait par mille côtés, la maladive lassitude de la vie, le dédain des hommes et le dégoût des affaires ; il était affligé surtout de cette fatale impuissance de vouloir qui fit d’un roi libertin l’esclave de ses maîtresses, et d’un époux fidèle l’instrument passif d’une reine charmante inspirée par la plus habile des conseillères.

Mais rien ne transpirait encore des dispositions lamentables qui conduisirent plus tard le roi d’Espagne à la limite du désespoir et de la démence. Lorsqu’il entra dans son royaume, escorté d’un essaim de brillans seigneurs, Philippe était beau comme la jeunesse et l’espérance. Il s’avança porté sur les bras d’un peuple qui croyait échapper, par l’intervention du plus puissant roi de l’Europe, aux maux de la guerre, et surtout à ce partage de la monarchie espagnole, plus redouté par la nation que tous les malheurs ensemble. Dans une capitale qu’il dut quitter par deux fois, dans une cour bientôt après prosternée devant son rival, et jusque dans ces provinces d’Aragon et de Catalogne, ardens foyers de la guerre civile, on n’entendit d’abord que des cris d’amour, que des protestations de fidélité. Cependant il ne fallait pas une grande sagacité pour pressentir les périls réservés à l’établissement nouveau. La dynastie française inquiétait dans la Péninsule des intérêts trop nombreux et des préjugés trop puissans pour que ceux-ci n’éclatassent pas aux premières difficultés qu’elle rencontrerait devant elle.

La grandesse, élevée à l’ombre du trône autrichien, voyait avec une répugnance peu dissimulée s’installer dans le palais habité si longtemps par une race étiolée le petit-fils de ce roi administrateur et guerrier, qui s’inquiétait encore plus de l’obéissance que des hommages, et qui avait fait du service militaire la vie même de sa noblesse. Un clergé riche et puissant qui professait un vif attachement pour les maximes romaines, encore qu’il fût en lutte fréquente contre le saint-siège, observait avec une suspicion qui, dans les ordres religieux, alla bientôt jusqu’à la haine, cette royauté étrangère que la ferveur espagnole considérait comme à deux pas du schisme : un prince français semblait être au-delà des Pyrénées l’expression même des idées de 1682. Le saint-office enfin, l’institution politique et religieuse la plus vivace de la Péninsule, se considérait comme menacé par une dynastie qui, dans ses propres domaines, avait constamment refusé le concours de l’inquisition, et