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Français qu’il ne détestait les Aragonais ou les Catalans, et lorsqu’il professait pour Louis XIV et pour ses ordres l’obéissance passive dont ce prince avait chaque jour à contenir les imprudentes manifestations, l’archevêque de Tolède n’était au fond qu’un ambitieux qui s’humiliait devant un protecteur éloigné pour n’avoir pas au sein du conseil à compter avec des rivaux. Le dévouement exalté des Madrilègnes fut donc la principale cause de l’insurrection du peuple de Barcelone, de Saragosse et de Valence.

Tel était le théâtre sur lequel la Providence avait placé un prince timide et maladif à la veille d’une conflagration commencée pour la succession d’Espagne, mais qui allait faire mettre en question l’existence de la monarchie française. Après de vives instances, Philippe avait obtenu de son aïeul, dont il suivait les instructions avec une docilité filiale, l’autorisation d’aller se mettre à la tête des forces franco-espagnoles, qui tenaient la campagne en Italie contre les troupes impériales. Durant un voyage de plus d’une année, il se montra successivement à Naples et à Milan, s’efforçant de calmer par la présence du souverain la haine trop justifiée de ses sujets italiens contre les vice-rois espagnols. On sait que Philippe assista à la bataille de Luzzara, et qu’au milieu d’un feu terrible il déploya cette impassible bravoure qu’on dirait inspirée par l’ignorance plus encore que par le mépris du péril. Uni depuis quelques mois à peine à la femme qu’il adorait, le jeune roi avait dû la quitter, car, malgré les supplications réitérées des deux époux, Louis XIV avait opposé une résistance invincible au départ de la reine, persuadé qu’au moment où la faction de l’archiduc commençait à s’agiter en Espagne, la sortie de cette princesse ne manquerait pas d’y être présentée comme une sorte d’abandon du trône[1]. Loin donc d’autoriser un éloignement dont aurait si bien profité la malveillance, Louis XIV voulut que Marie-Louise de Savoie exerçât la régence, assistée d’un conseil, dont Porto-Carrero et don Manuel Arias, chefs du parti castillan, étaient les membres principaux, mais qui comptait aussi des représentans des autres nationalités péninsulaires. L’auguste aïeul ne fut trompé cette fois ni dans les prévisions de sa tendresse ni dans celles de sa politique. Durant une guerre étrangère qu’allait compliquer une guerre civile, entre les trahisons du palais et les trames d’un cabinet divisé, dans un dénûment de ressources qui affectait souvent jusqu’aux services les plus indispensables de la maison royale, une princesse de quinze ans, insensible aux dangers comme aux fatigues, alla tenir sa cour à Barcelone, à Saragosse et à Madrid, sut obtenir un peu d’argent des cortès d’Aragon, miracle réputé impossible ; elle présida pendant

  1. Mémoires de Noailles, t. II, p. 112.