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l’Espagne « à lents tours de roue, » nous dit le duc de Saint-Simon, elle trouva le temps de faire agir ses amis de Versailles, « qui, représentant la raideur de cette chute pour une dictatrice de cette qualité, disaient que le roi, étant obéi, jouissait de sa vengeance, que la pitié pouvait avoir lieu après une telle exécution, et qu’il ne fallait pas pousser à bout la reine d’Espagne. » Ces raisons, commentées par le duc d’Harcourt, homme d’un si grand poids dans les affaires de la Péninsule, par le maréchal de Villeroy et par les Noailles, prévalurent auprès de Louis XIV, qui accorda à la princesse l’autorisation, ardemment sollicitée, de s’arrêter à Toulouse et d’y séjourner. Ce n’était que le premier pas vers une réhabilitation à laquelle travaillaient avec une ardeur égale, quoique par des procédés très différens, la jeune épouse de Philippe V et la grave compagne de Louis XIV. Mme de Maintenon, acceptant volontiers le rôle démissionnaire de la justice divine, tenait sans doute à honneur de ne pas décevoir l’espérance de l’illustre accusée qui le lui avait attribué avec tant d’à-propos. Au bout de quatre mois passés dans la capitale du Languedoc, au sein d’une retraite animée par un commerce assidu avec les deux cours, Mme des Ursins reçut la permission de paraître à Versailles et de venir s’y justifier. L’intervention de Mme de Maintenon n’avait rien que de fort naturel dans cette circonstance, non qu’elle eût le goût de gouverner l’Espagne, comme l’affirme Saint-Simon, car ce goût-là, elle ne l’avait pas même pour la France : ce qu’elle voulait des deux côtés des Pyrénées, c’était une sorte de surintendance morale de la maison de Bourbon. Or, en la tenant au courant des plus minutieuses particularités touchant le roi et la reine, en inspirant à la sœur de la duchesse de Bourgogne l’affection soumise de son aînée envers sa tante, Mme des Ursins rendait à la marquise de Maintenon le seul service qui touchât celle-ci, et le seul, à vrai dire, qui pût ajouter quelque chose à son importance.

Les motifs de Louis XIV étaient d’un ordre fort différent, et son esprit politique ne tarda pas à leur sacrifier ses griefs, si légitimes qu’ils pussent être. Loin de pacifier la cour d’Espagne, le départ de la princesse des Ursins y avait fait éclater la plus complète anarchie. Au gouvernement exercé par la reine avait succédé une absence entière de direction, et les affaires furent conduites avec des incohérences tellement choquantes, que M. de Torcy, à bout de conseils et de patience, ouvrait avec un effroi véritable les dépêches sorties de cette boite de Pandore. L’accord au moins apparent que la prépondérance de Mme des Ursins avait maintenu entre les membres du despacho par l’intervention du duc de Montellano, sa créature, s’était trouvé violemment rompu, et le parti autrichien se constituait par l’effet de ce désordre et de cette décomposition universelle.