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du roi de la distinguer et de lui faire les honneurs de tout comme à un diminutif de reine d’Angleterre, et à la majestueuse façon dont le tout était reçu, avec une proportion de grâce et de politesse dès lors effacée et qui faisait souvenir les plus anciens des temps de la reine-mère. » Si Louis XIV se montra grand tacticien en paraissant rattacher à ses entretiens avec Mme des Ursins une résolution préconçue qui avait été le pur effet des événemens, et si la bonne grâce du gentilhomme couvrit en quelque sorte la retraite de l’homme politique, on pense bien que la princesse ne se laissa pas vaincre en habileté. Lorsque le désir de la voir retourner près de la reine d’Espagne lui fut exprimé, elle parla du dégoût que lui inspirait l’état de ce triste pays, qui rendait le bien comme impossible à faire ; elle opposa à l’impatience du roi l’état de sa santé délabrée, et se mit en traitement, ayant en ce moment-là un intérêt véritable à être malade. Elle retarda de jour en jour un départ qu’on pressait de plus en plus, faisant comprendre avec mesure que, pour éviter les malheurs et les malentendus du passé, il faudrait chercher le salut de l’Espagne dans une unité complète de direction, et que la prépondérance inévitable de la reine contraindrait à placer cette direction politique, non dans l’ambassade, mais dans le palais. C’était réclamer un blanc-seing pour gouverner le royaume ; mais, si audacieuse que fût en soi une pareille exigence, elle ne blessa personne, tant on était heureux, après de si nombreux mécomptes, de trouver enfin une tête qui affrontât courageusement la responsabilité d’une situation devenue si périlleuse. Mme des Ursins pénétra tous les avantages qu’elle pouvait tirer de l’abattement général et se promit de n’en rien laisser perdre ni pour elle ni pour ses serviteurs, quelque équivoque que pût être leur position auprès d’elle. Elle introduisit d’Aubigny dans le cabinet de Louis XIV et, chose plus difficile, dans celui de Mme de Maintenon. Elle fit renvoyer Orry à ses anciennes fonctions, pendant que l’un de ses ennemis les plus dangereux, le père Daubenton, recevait l’ordre de quitter Madrid, où sa remuante nullité s’était égarée dans un dédale d’intrigues. Autorisée à composer en quelque sorte son ministère, elle désigna pour l’ambassade d’Espagne le président Amelot, diplomate d’un esprit élevé, mais d’un caractère un peu subalterne, l’une des lumières de cette magistrature où Louis XIV aimait à recruter le personnel de son gouvernement, et d’où Mme des Ursins sortait elle-même par sa filiation maternelle. Ce choix était bon pour les deux rois, meilleur encore pour la princesse, à laquelle il garantissait un concours précieux sans lui laisser appréhender aucune résistance. Dans les soins et les détails multipliés qui assuraient sa dictature s’écoulèrent donc ces quatre mois d’attente qui provoquèrent parmi les oisifs de la cour les plus étranges interprétations. Saint-Simon,