Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sous les auspices de lord Falkland, John Haies et Chillingworth donnèrent le premier signal de la véritable liberté religieuse, et un écrivain plus célèbre, placé très haut encore dans l’estime de ses compatriotes, Jeremy Taylor, en toucha tous les principes avec plus de largeur que de méthode, plus de verve que de précision, dans sa liberté de prophétiser[1]. Ce livre remarquable l’est surtout en ce qu’émané d’un théologien respecté, il porte le caractère philosophique sans perdre le caractère chrétien. L’idée chrétienne de Taylor, c’est qu’en dehors du symbole des apôtres, rien dans la foi n’a cette autorité irréfragable qui permettrait d’imposer l’obligation de croire. Son idée philosophique est que, dans les matières spirituelles, la difficulté de connaître la vérité interdit cette certitude absolue qui serait au moins une indispensable condition pour justifier l’intervention de la force. Ce double principe, qui aurait pu mener Taylor plus loin qu’il ne croit, le conduit au moins à accorder presque sans restriction la tolérance aux catholiques, et dans son temps, son pays, son église, il faut le noter à son honneur.

Taylor traite surtout de la tolérance au point de vue religieux ; il insiste moins sur la question politique. Locke fait l’inverse. Il n’était pas d’église ; il avait vécu dans le commerce des gens du monde et des hommes d’état, et c’est d’une manière pratique qu’il aime à résoudre toutes les questions. Aussi, quoique ses idées générales offrent beaucoup d’analogie avec celles de Taylor, il s’attache principalement à déterminer, en ce qui touche la police des sectes et des cultes, quel est l’intérêt de l’état, quelle est la compétence, la puissance des lois, quel est le droit et le devoir du magistrat. Par cette voie, il arrive à la même conclusion, la liberté religieuse. On trouve les fondemens mêmes de sa doctrine dans un article de son journal intime, daté de 1667. Il avait dès-lors compris le danger et la chimère de poursuivre l’uniformité. Vingt ans après, il avait pu se confirmer dans ses idées, en vivant au milieu des ministres arminiens ou remontrans de Hollande, tous partisans de la tolérance, et il habitait Amsterdam, quand Bayle y avait publié son Commentaire philosophique sur les paroles : Contrains-les d’entrer. Cependant il est certain que Locke, en s’adressant à la politique, en prouvant par des raisons de sens commun, d’équité naturelle et de sagesse pratique, que le pouvoir civil n’a point à s’enquérir du fond des religions, fit faire un pas nouveau à la vérité qu’il voulait établir, et prit par son faible ou par son fort l’esprit des Anglais. Sa pensée fondamentale est qu’une église est une association libre, tandis que

  1. Liberty of prophesying. Prophétiser signifie ici émettre publiquement ses opinions religieuses.