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c’est-à-dire que l’établissement était sous l’inspection de la couronne. Le roi donc ordonna à lord Sunderland, secrétaire d’état, d’écrire au doyen, le 6 novembre 1684, qu’ayant appris « qu’il y avait parmi les étudians de Christ Church un M. Locke qui appartenait au feu comte de Shaftesbury, et qui s’était dans plusieurs occasions très factieusement conduit, sa volonté était qu’il fût destitué. » Le doyen John Fell, évêque d’Oxford, était dévoué à la cour, homme de parti, et membre de cette université qui, le jour de la mort de lord Russell, décréta que le despotisme héréditaire était établi de Dieu ; mais Fell était lié dès longtemps avec Locke. Celui-ci n’avait, par aucune indiscrétion, embarrassé ses supérieurs, qui avaient approuvé son voyage. Fell concevait quelque doute sur la justice ou sur la légalité de l’ordre qu’il recevait. Il répondit en rendant témoignage de la réserve parfaite de Locke ; il dit que bien que souvent provoqué à dessein au sujet de son maître, le comte de Shaftesbury, il n’avait jamais montré le moindre trouble, et qu’il n’existait peut-être pas au monde un homme qui sût mieux gouverner sa parole et ses émotions. Son emploi comme médecin le dispensait des exercices du collège et même de la résidence ; il était en ce moment absent pour sa santé ; on pouvait le sommer de revenir. S’il y manquait, il serait dans le cas d’être expulsé comme contumace ; s’il revenait, il aurait à répondre à sa seigneurie de ce en quoi il aurait failli, d’autant que s’il était sur ses gardes à Oxford, où il se savait soupçonné, il devrait s’ouvrir davantage à Londres, où l’on parlait plus librement et où se tramaient tous les exécrables desseins contre le roi et son gouvernement. Le doyen proposait donc de donner à Locke jusqu’au 1er janvier pour tout délai, et, ce terme passé, de procéder à son expulsion. Si ce plan n’était pas agréé, il se déclarait, ainsi que son chapitre, prêt à obéir aux ordres de sa majesté.

Cette lettre, où ne brille ni la fermeté ni la franchise, indiquait quelque scrupule ou plutôt quelque embarras, et les esprits bienveillans y verront au moins un biais pour éluder un ordre rigoureux et gagner du temps. Sunderland y répondit par un commandement ou warrant en forme, adressé au très révérend père en Dieu, John, lord-évêque d’Oxford, doyen de Christ Church, et au fidèle et bien-aimé chapitre, pour qu’ils eussent à expulser Locke de sa place d’étudiant et à le priver de tous les droits et avantages qui y étaient attachés. Fell répondit par une simple lettre d’envoi, jointe à un extrait des registres du chapitre portant que le warrant avait été lu et que l’ordre avait été donné de le mettre à exécution. Étaient présens : l’évêque-doyen et les docteurs Edouard Pocock, Henri Smyth, Joseph Hammond et Henri Aldrich, ce dernier l’auteur