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jours, il m’appelait le chevalier de Mombalère, et quand Zulmé s’étonnait de ne pas me voir auprès de lui, il répondait : — Le chevalier fait ses caravanes. — En effet, je le dis à ma honte, je ne restais pas longtemps auprès du pauvre malade ; j’aimais mieux courir dans les ruines du château pour faire la chasse aux lézards et dénicher des œufs de corneille et de hibou. J’aimais aussi à suivre Marceline lorsqu’elle conduisait son attelage. Cette singulière créature dans l’espace d’un quart d’heure prodiguait à ses vaches les expressions les plus tendres et les insultes les plus pittoresques, ou bien elle me faisait des récits terribles. Personne ne connaissait aussi bien qu’elle l’histoire du Bécut (l’ogre) qui dévore les petits enfans, celle des ades (les fées), qui jouent des tours aux bergères, la chronique du Sabbat et les derniers exploits des Mandagots. Elle me chantait aussi avec une voix qui n’était pas trop désagréable les chansons du pays, celle de Jeanne la Loi et du Fils du Roi, ou bien celle de la Belle Rose au rosier blanc. Tels furent mes premiers élémens d’éducation.

Lorsque j’arrivai à l’âge de sept ans, ma sœur comprit qu’un jeune gentilhomme de mon âge devait avoir un autre précepteur que Marceline ; elle ne put toutefois se déterminer à m’envoyer à l’école de Mombalère. Elle avait reçu une bonne éducation ; elle résolut d’être mon institutrice : elle se chargea de m’apprendre la lecture et la musique. Quand nous demeurions à Condom, il y avait de fréquens concerts dans notre maison, et ma sœur était renommée pour ses talens sur la harpe et sur la guitare. Si la harpe avait disparu dans notre naufrage financier, la guitare nous restait, et grâce aux leçons de Zulmé je devins d’une jolie force sur cet instrument. Elle m’apprit plus difficilement à lire ; mais une fois que je sus lire, il n’y eut pas moyen de me contenir, et je devins un lecteur insatiable. Malheureusement la bibliothèque de Mombalère était mal fournie en livres qui pussent servir à l’éducation d’un jeune homme. Ma pauvre mère aimait beaucoup les romans, et je crois que c’est à ce goût que nous devions, ma sœur et moi, les noms un peu prétentieux de Zulmé et de Léandre. J’arrivai à l’âge de vingt ans sans avoir lu un seul livre d’histoire ou de géographie. En revanche, Gonzalve de Cordoue, Estelle et Némorin, Claire d’Albe et Mathilde, les contes de Perrault et de Mme  d’Aulnoy, Adèle et Théodore, les Chevaliers du Cygne, les Incas, Clarisse Harlowe, m’étaient tout à fait familiers. J’emportais mes bouquins au fond des bois, et je passais des journées délicieuses avec les héros de ces livres, du moins tant que je fus enfant, car plus tard je commençai à me préoccuper un peu plus des belles héroïnes que du farouche Alamar et du tendre Malek-Adhel.

Ce fut Marceline qui fut mon précepteur d’équitation. Le seul