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occasion, il fit meubler son château avec une splendeur inconnue jusque-là dans la contrée ; il fit venir de Paris des voitures sortant de chez les carrossiers les plus renommés ; il promena dans tous les châteaux environnans sa jeune femme avec des toilettes qui ne lui firent que des ennemies, après quoi il se cantonna dans les douceurs de la lune de miel et essaya consciencieusement de changer ses habitudes. Ce fut en vain, il n’acquit qu’un vice de plus : l’hypocrisie.

M. d’Asparens ne parvint pas même à tromper sa femme, qui avait cru épouser un comte et n’avait rencontré qu’un gentleman farmer. La froideur se mit entre les deux époux. Cette froideur ne fit qu’augmenter après une catastrophe financière qui ruina entièrement le père de la comtesse. Ce coup fut d’autant plus sensible pour M. d’Asparens qu’il avait laissé tout le montant de la dot de sa femme chez son beau-père. Il montra en cette circonstance peu de générosité ; il se plaignit amèrement de ce désastre, et accusa son beau-père de l’avoir trompé ; il saisit cette occasion pour diminuer le train de sa maison et pour se jeter plus que jamais dans les expériences agricoles. Le comte ne garda qu’un cocher et une cuisinière ; il rappela Marinette, qu’il regrettait, et la donna pour femme de chambre à la comtesse. Celle-ci, qui comprit quelle allait être sa situation, n’adressa aucun reproche à son mari ; elle s’effaça devant la nouvelle maîtresse, et eut la dignité de la résignation. Cette façon d’agir, pleine de noblesse, ne fit aucune impression sur le comte, qui en profita au contraire pour recouvrer sa liberté. Il s’habitua à ne voir sa femme qu’au dîner, c’est-à-dire pendant une heure par jour.

Lorsqu’en sa qualité de conseiller-général il était obligé d’assister à quelque grande réunion, il l’emmenait avec lui et avait soin que sa toilette fût en harmonie avec le rang qu’il occupait dans le département. C’était avec plaisir aussi qu’il lui voyait présider les dîners d’apparat qu’il donnait cinq ou six fois par an, car la comtesse avait une réputation de savoir-vivre et d’amabilité qui mettait ces dîners en renom. Toutefois, bien que libre autant que s’il n’eût pas été marié, le comte n’était pas heureux. Il avait échoué dans sa candidature à la députation. Cet échec avait modifié son caractère. Vaincu par un candidat de son opinion, il affecta dès lors des allures démocratiques. On le voyait fréquenter les foires et les marchés, se mêler aux paysans et aux maquignons, et trinquer avec eux dans des cafés qui ne différaient guère des cabarets. Il devint bientôt extrêmement populaire, et s’enivra de ce grossier encens que, dans la plus basse classe, les gens du midi savent prodiguer à ceux qui veulent se familiariser avec eux. Il en rencontra qui surent exploiter les passions qu’il avait conservées