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le seul héritier de son immense fortune. La comtesse avait écrit à Zulmé, qui était partie aussitôt qu’elle m’avait vue hors de danger. Malgré son antipathie contre la Parisienne, Zulmé avait senti son cœur touché de la triste situation d’Hortense. La veuve du comte d’Asparens était sans fortune. En quittant le château de son mari, il fallait qu’elle cherchât les moyens de vivre de son travail ; elle se trouvait dans la situation où Zulmé se trouvait elle-même lorsque nous étions sur le point d’être chassés de Mombalère. Le cœur de Zulmé était trop bon pour n’être point ému par une pareille infortune. Elle se promit de réparer les torts du comte ; d’ailleurs, pendant le délire de la fièvre, j’avais malgré moi révélé mon secret. Elle amena Hortense à Mombalère pour achever ma guérison.

J’étais riche, elle était pauvre, je l’aimais d’un amour inaltérable et sans bornes qui l’avait touchée. Il ne faut pas croire cependant que cette histoire romanesque eut son dénoûment immédiat. Si je ne voyais pas l’aube blanchir l’horizon, je vous raconterais toutes les péripéties par lesquelles dut passer mon amour : elles furent longues. Hortense voulait nous quitter ; elle ne pouvait consentir à ce mariage : elle était de quelques années plus âgée que moi. Un jour peut-être mon amour s’affaiblirait, et je pourrais croire qu’elle avait profité de la folle passion d’un enfant pour rentrer dans sa grande fortune. En vain Zulmé intervint-elle, car elle aimait Hortense autant qu’elle l’avait haïe ; en vain assura-t-elle que son consentement donné à ce mariage suffirait pour faire disparaître tout soupçon de cette nature. : Hortense se montra inflexible. Il me fallut attendre quatre années, qui me parurent bien longues. Elle exigea que je refisse mon éducation. Je lui obéis. Zulmé voulut que j’étudiasse le droit, et j’essayai de me faire recevoir avocat ; mais avant que j’eusse conquis ce titre, mon martyre prit fin.

En me faisant étudier le code civil, Zulmé avait dérogé aux principes de toute sa vie, car elle avait toujours professé le plus profond dédain pour ce qu’elle appelait les robins ; mais elle avait failli être tellement dupe de son ignorance des affaires qu’elle avait voulu me prémunir contre un pareil accident. Elle avait donné ordre au notaire chargé de liquider la succession du comte d’Asparens de payer la créance pour laquelle Briscadieu nous poursuivait. Le notaire, après examen, la convainquit que maître Briscadieu n’était qu’un fripon. La créance au nom de laquelle il nous poursuivait était complètement nulle. Notre mère, mariée sous le régime dotal, n’avait pas le droit de s’engager. Un sentiment d’honneur nous obligeait néanmoins à payer ces débiteurs qui avaient eu foi en la parole de notre mère ; quant à Briscadieu, il avait acheté, moyennant une centaine de francs, cette créance, grâce à laquelle, aidé de ses