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et ses qualités justifiassent cette préférence. Dans les bâtimens à vapeur, mêmes procédés et mêmes tâtonnemens. C’est d’abord le type des 160 chevaux, copié en Angleterre, et que l’on recommence à satiété, puis ceux de 220 et de 450, qui, après quelques années d’essais, se trouvaient impropres à un service de guerre. Toutes ces constructions avaient lieu par fournées et avec des dépenses qui n’étaient pas compensées par les services ; on s’en surchargeait de manière à n’avoir plus de fonds disponibles pour des types nouveaux. La conséquence de ce système était un matériel stationnaire, peu propre à se renouveler, et dont il fallait user même en le reconnaissant défectueux.

N’est-il pas à craindre qu’en suivant la même marche on n’aboutisse au même résultat ? Tous ces vaisseaux à hélice relèvent, à la différence des rangs près, d’un seul modèle : la machine, les installations, l’armement, se ressemblent. On en multipliera les exemplaires jusqu’à épuisement de crédits, et nous aurons toute une pépinière de vaisseaux à hélice de 130,114, 90, 82 et 80, comme nous en avions naguère une de vaisseaux à voiles de 72 et 90. Qu’il survienne alors, et cela ne manquera pas, une de ces découvertes qui modifient l’art des constructions et détruisent au profit des derniers venus la valeur et l’équilibre des forces, il faudra de deux choses l’une : ou user des instrumens que l’on a, si imparfaits qu’ils soient, et par suite entrer en ligne avec moins de chances, ou condamner ces instrumens et se refaire une flotte à nouveaux frais. Pour le vaisseau à hélice, ces événemens sont plus prochains qu’on ne le suppose ; il naît à peine, et n’a pas dit son dernier mot. Il se compose de deux élémens, tandis que le vaisseau à voile n’en avait qu’un ; il est exposé aux révolutions de l’art mécanique, qui est dans la fièvre des enfantemens. Le moindre détail, par exemple un degré de puissance de plus dans la machine, plus d’effet concentré dans moins d’espace, suffirait pour modifier les conditions d’un bon emploi et frapper les types actuels de déchéance. La prudence conseille donc de ne pas agir avec trop de hâte et de se montrer plus sobre de copies d’un même échantillon. Les leçons du passé ne doivent pas être perdues : ne fût-ce que dans l’intérêt de nos finances, il est temps d’épargner à la marine cette tâche qui recommence quand elle est à peine achevée. Bien des problèmes sont encore à résoudre non-seulement au sujet de l’instrument, mais de l’arme elle-même. On s’est demandé par exemple si, au lieu de l’affecter à des services directs, il ne valait pas mieux lui donner une destination indirecte, et si l’usage des bâtimens à feu ne devait pas introduire des modifications profondes dans la tactique des guerres navales.

Il est certain que, par l’effet des événemens, la guerre navale proprement