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condamnés. Sans échanges point de navigation, sans navigation point de marins ; c’est ainsi que tout s’enchaîne, et qu’au développement des échanges se trouvent liés la grandeur, la fortune, l’ascendant de la France. Comment pardonner à ces industriels qui, depuis un demi-siècle, en compriment l’essor sous une coalition d’intérêts ? Ils jettent volontiers des défis à l’Angleterre, et quand on leur offre le seul moyen efficace de se mettre à son niveau, ils se retranchent dans un refus : peu leur importe que la marine soit languissante, pourvu que leurs inventaires ne souffrent pas.

Pour obvier à cette infériorité du nombre, on a mis en avant plusieurs moyens, entre autres l’augmentation du chiffre des hommes qui arrivent à bord par le recrutement. Avec la voile, c’était un pauvre expédient ; la manœuvre de la voile exige des marins consommés, elle exige un long apprentissage. Avec la vapeur, le cas est différent, surtout si l’on renonce à cet appareil aérien qui emploie tant de bras et rend désormais si peu de services. Il ne reste plus alors que le canonnage, auquel le matelot du commerce est aussi étranger que l’homme de l’intérieur. C’est même un point à noter qu’un marin nouveau sur les flottes a de la peine à devenir un bon canonnier ; le fait a été constaté pour les équipages anglais de la Baltique, composés en grande partie de recrues ; Réduit au canonnage, le service n’offre pas de grands obstacles à l’homme du recrutement ; quelques mois de navigation lui suffisent pour acquérir ce qu’il doit avoir du marin, les pieds et l’estomac. Si l’expérience confirmait ces prévisions, le problème du renouvellement de notre personnel maritime, d’insoluble qu’il était, se résoudrait de lui-même. Des pépinières s’ouvriraient à nos flottes et les tiendraient pourvues en raison de leurs besoins. Il suffirait, pour cela, de détourner au profit de l’année de mer une faible portion du contingent à l’aide duquel notre armée de terre se recompose chaque année. On pourrait même n’envoyer aux vaisseaux que des hommes dégrossis dans nos polygones, et qui recevraient à bord leur complément d’instruction. Lee hommes du recrutement, inférieurs en beaucoup de points, offrent pourtant un avantage sur les marins de profession ; ils sont en général plus disciplinés, moins turbulens, et gardent une tenue meilleure.

Après nos matelots, il faut compter nos officiers ; c’est la tête de la flotte, dont ils sont les bras. Dans quelle proportion se distribuent-ils entre les deux marines ? Notre infériorité de nombre se retrouve ici avec ses inconvéniens. Loin de s’accroître à vue d’œil comme ceux de notre armée de terre, les cadres de l’année de mer sont restés stationnaires ou à peu près. Ils comprennent environ 2,000 officiers de tout grade ; l’Angleterre en a plus de 6,000. Nous