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effets que le café pouvait produire sur la santé des populations. Ces effets passaient généralement pour dangereux, et un mot célèbre de Mme de Sévigné est resté comme l’écho des préjugés entretenus contre le café par les médecins du XVIIe siècle. Au siècle suivant, tous ces préjugés avaient disparu, et une plaisanterie de Fontenelle, presque centenaire, répondait gaiement aux accusations portées contre le café. « Il faut avouer, disait Fontenelle, que le café est un poison bien lent, car j’en bois plusieurs tasses chaque jour depuis quatre-vingts ans, et ma santé n’en est pas encore sensiblement altérée. » Aujourd’hui on peut opposer à ceux qui redoutent les effets du café un argument plus sérieux dans le chiffre même qu’atteint la consommation de cette substance alimentaire en Europe sans que la santé publique en souffre nulle part, et au contraire avec grand profit pour elle[1]. Ce chiffre dépasse annuellement 300 millions de kilogrammes.

C’est l’initiative entreprenante du peuple hollandais qui a fait du café une culture coloniale et un objet de commerce. À la fin du XVIe siècle, au moment où la consommation du café prenait un développement considérable en Europe, les habiles négocians hollandais s’emparèrent de cette source de richesse. On fit venir de Moka quelques jeunes cafiers à Batavia. Un de ces pieds, transporté dans les serres du jardin botanique d’Amsterdam, y produisit des fleurs, puis des fruits qui parvinrent à maturité. On sema les graines et on obtint quelques pieds nouveaux, dont l’un fut, lors de la paix d’Utrecht, envoyé en cadeau à Louis XIV. Ce cafier, placé dans les serres du Jardin du Roi, à Paris, s’y multiplia bientôt. Il restait à naturaliser le cafier dans nos colonies des Antilles, et le capitaine Declieux reçut la mission délicate d’y transporter trois des pieds venus au Jardin du Roi. La traversée fut longue et difficile : deux de ces plants ne purent même résister à la sécheresse ; l’équipage manquait d’eau. Le capitaine Declieux, comprenant toute l’importance de la mission qu’il voulait accomplir, partagea avec le seul cafier qui lui restât sa faible ration d’eau. Il parvint enfin à l’introduire vivant dans la colonie de la Martinique, où se rencontrait un climat si favorable dans plusieurs localités, qu’en un petit nombre d’années la multiplication des cafiers fut prodigieuse.

  1. On obtiendrait peut-être des effets moins salutaires, il faut le dire, de la substance sucrée contenue dans la pulpe du fruit mûr du cafier, et qui, sous l’influence de la fermentation, développe rapidement de l’alcool. A. de Humboldt s’étonnait qu’on n’eût pas tiré parti de ces propriétés de la baie du cafier ; il ignorait sans doute qu’on a essayé en diverses occasions de l’utiliser dans nos colonies pour produire une légère boisson aromatique et vineuse. Un ancien écrit cité par M. Boussingault contient le passage suivant : « Les habitans de l’Arabie prennent la peau qui enveloppe la graine et la préparent comme le raisin ; ils en font une boisson pour se rafraîchir pendant l’été. »