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et aussi médiocrement que possible. Rempli des meilleurs sujets que produit chaque année le Conservatoire, où l’on fait de si beaux discours sur l’institution d’un diapason légal qui n’empêchera pas de chanter faux, parce que c’est un droit qu’en France on acquiert en naissant, le théâtre de l’Opéra-Comique, disons-nous, se rapproche de plus en plus de son berceau, qui est le vaudeville. C’est bien le cas de chanter :

Et l’on revient toujours
A ses premiers amours.

Le Théâtre-Lyrique, qui n’est pas aussi protégé que celui de l’Opéra-Comique, et qui professe, en fait d’art, les principes salutaires du libre échange, a rouvert ses portes le 1er septembre par le délicieux chef-d’œuvre de Mozart, l’Enlèvement au Sérail, et l’agréable opérette de Weber, Abou-Hassan. Tout récemment on a repris le Faust de M. Gounod avec un nouveau ténor, M. Guardi, qui chante le rôle du docteur. Je ne sais pas d’où vient M. Guardi, ni quel est le maître qui lui a délié la langue ; mais il ne paraît être encore qu’un écolier dont la voix stridente et mal posée est déjà affectée de cette insupportable vibration qui dénote plus que de la fatigue, je veux dire une véritable altération de l’organe. Il est douteux que M. Guardi puisse fournir une longue carrière, surtout si on le place au premier rang et dans un rôle aussi long et aussi difficile que celui de Faust. La voix de M. Guardi n’a aucune flexibilité, et l’éclat métallique qui la distingue n’est obtenu que par des efforts visibles et pénibles à l’auditeur. Le directeur intelligent du Théâtre-Lyrique, M. Carvalho, s’efforce de suppléer à la protection qu’on lui refuse par une grande activité ; il nous promet pour cette année un programme magnifique, où l’on distingue l’Orphée de Gluck, qui serait chanté par Mme Viardot, et le Don Juan de Mozart :

Salutiamo l’altissimo maestro !

Le théâtre de l’Opéra n’a pas suivi le mauvais exemple que donne la cigale. En chantant tout l’été des cantates en l’honneur de Magenta, de Solferino et de Villafranca, il a pensé aux nécessités de la saison prochaine en nous préparant l’agréable surprise d’un opéra italien de sixième ordre qu’il a fait traduire, arranger et compléter par une foule d’hommes de talent. On n’est pas plus modeste et plus franchement résigné à avouer sa misère et son inintelligence des choses élevées de l’art, et cependant on fait de bien beaux discours à la distribution des prix du Conservatoire ! I Montechi e i Capuletti, faible ouvrage que Bellini a composé à Venise en 1829 pour les deux Grisi, Giuditta et Giulia, ne méritait ni cet excès d’honneur ni cette indignité de se voir translaté sur la grande scène de l’Opéra, où l’on ne devrait admettre, en fait de musique étrangère, que les chefs-d’œuvre consacrés par l’admiration de l’Europe. Je ne sais pas même si la Semiramide de Rossini, qu’on prépare aussi et qu’on arrange pour les débuts de deux jeunes cantatrices qui excitent en ce moment l’enthousiasme de l’Italie, aura sur la scène de l’Opéra le succès qu’on s’en promet. J’en doute si fort pour ma part, que, si j’étais l’auteur de ce chef-d’œuvre, je défendrais aux faiseurs de maculer mes inspirations de leurs embellissemens. Quoi qu’il en soit, il