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Libre enfin, Locke commença à disposer sa retraite pour la vieillesse et pour la mort. Conservant le plus longtemps qu’il le put toute l’activité que comportaient ses forces, il aimait la promenade, le jardinage ; il montait à cheval ou se faisait porter en chaise. Il ne fuyait pas la société, au contraire, heureux au besoin de la compagnie d’un enfant. L’égalité de son humeur n’était point altérée par ses souffrances, dont il ne parlait pas. La sévérité de son régime, la gravité de ses pensées n’ôtaient rien à la liberté bienveillante de son esprit, à l’agrément de sa conversation. Dans les dernières années, l’aspect des affaires publiques l’attristait quelquefois : la corruption du temps l’inquiétait pour l’avenir, et l’on dit qu’il se plaignit de voir vers le terme de sa vie s’échapper les nobles espérances qui l’avaient longtemps animé ; mais cette cruelle épreuve, désespérer de sa cause et de son pays, il trouvait dans sa religieuse philosophie les moyens de la soutenir, sinon de l’oublier. Sans se piquer de ce détachement dont se vante quelquefois la piété, il avait ce courage serein que soutient la foi. Exact aux offices de l’église, il faisait de l’Écriture son livre de prédilection. Il disait qu’en approchant du terme de sa vie, il concevait comme une idée plus haute du christianisme, et il regrettait de ne pouvoir plus écrire. Il le pouvait encore, mais il approchait des jours du déclin, non de son esprit, mais de ses forces, lorsqu’il composa sa paraphrase et ses notes sur les épîtres de saint Paul aux Romains, aux Galates et aux Corinthiens. La lecture de cet ouvrage, qui n’a paru qu’après la mort de l’auteur, et où il manque plus encore que dans aucun autre d’un certain nerf dans la pensée et dans le style, n’inspire pas un vif intérêt. On remarquera cependant la préface où il a indiqué les principes d’une critique philosophique de l’Écriture. Il faut ajouter qu’en se livrant des premiers à ces recherches de théologie paulinienne, si affectionnées des Anglais, il a donné l’exemple d’une interprétation large et raisonnable qui dégage, autant que possible, l’apôtre des gentils de cet absolutisme doctrinal sur la grâce et sur la damnation que l’autorité de grands commentateurs, favorisée par la lettre du texte sacré, lui attribue dans la plupart des églises protestantes. L’esprit et la manière de Locke ont été imités par le savant James Peirce dans ses recherches sur les autres épîtres du même apôtre, qu’il a dédiées au cousin du philosophe, le chancelier King. On cite d’autres commentateurs renommés de saint Paul qui ont dû beaucoup à Locke et à son influence salutaire sur l’interprétation raisonnée des écritures. Il est vrai que l’auteur d’une logique assez connue, Isaac Watts, l’a poétiquement dépeint dans le ciel fort repentant de son ouvrage sur saint Paul ; mais aux vers où il décrit cette triste vision, on en oppose d’autres