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Le saisissement avait rendu M. Desprez muet. — Mais c’est impossible ! s’écria-t-il tout à coup, vous me dites là des choses qui font frémir,… et vous le faites avec une tranquillité !… Que vous soyez souffrante, je ne le vois que trop ; mais en danger,… allons donc !

Le vieil ami de Félix était dans un état d’agitation extraordinaire. Il s’était levé et marchait par la chambre à grands pas.

— Mon pauvre monsieur Desprez, je suis désolée de vous faire ce chagrin, reprit Berthe ; mais à qui parlerais-je de tout cela si ce n’est à vous ? Je ne suis pas nerveuse, et je n’aime pas plus les phrases inutiles que les grandes démonstrations de sentiment… Croyez donc bien que je vous dis la vérité.

M. Desprez retomba sur son fauteuil. — Ah ! mon Dieu ! dit-il, vous malade à ce point !… Mais que va-t-on devenir ici ?

— C’est bien pour cela que je vous ai appelé. Vous allez me donner votre parole que vous n’abandonnerez plus cette maison… Je vous remets toute la famille, le père comme les enfans,… les trois enfans, entendez-vous ?

— Oui, oui ! répondit M. Desprez, qui passa un mouchoir sur ses yeux. Il regarda Berthe longtemps : — Mais comment cela se fait-il ? vous qui étiez l’activité même !…

— Eh ! songez que voilà bien des années que je combats ! Si bon que soit un outil, quand on s’en est servi longtemps, il vient un jour où il casse d’un coup… J’ai voulu vous avertir de cette situation pour que vous m’aidiez à prendre les précautions utiles et à mettre tout en ordre. Ne dit-on pas que lorsqu’une sentinelle quitte son poste, une autre doit la remplacer ?

M. Desprez sortit navré du cabinet de Berthe. Trois jours après, une circulaire annonçait que la maison de banque de M. Félix Claverond aurait désormais pour raison sociale : Félix Claverond, Desprez et Cie. Félix embrassait Jules et le remerciait d’avoir cédé à ses instances.

À quelque temps de là, et comme M. Desprez, qui avait son appartement dans l’hôtel de la rue Miromesnil, commençait à penser que Mme Claverond avait eu sur son état des préoccupations exagérées, Berthe se mit au lit. Le médecin fut étonné des ravages produits par une fièvre sourde que sa cliente avait négligée. Le mal fit des progrès rapides ; un voyage qui eût été nécessaire devint impossible. Berthe dut rester couchée ; elle s’affaiblissait d’heure en heure ; les médecins réunis en consultation déclarèrent que les remèdes n’agissaient plus sur des organes lentement usés ; elle périssait d’épuisement. Un repos absolu était la seule chose qui pût la remettre, peut-être la sauver. La consternation régnait dans tout