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quelques places ornées de fontaines et pittoresquement situées, sur un sommet élevé d’où j’aperçus à peu près toute la surface de l’île, surface aride, violemment accidentée, privée d’ombre et de verdure, et tellement dépourvue de terre végétale que les habitans y trouvent à peine de quoi ensevelir leurs morts. Cette roche stérile, battue par la mer, brûlée par le vent, dorée par le soleil, produit une admirable race d’hommes. Les Hydriotes se distinguent en effet par la vigueur et la sculpturale beauté de leurs formes, et ils portent sur leur physionomie sévère les traces de la proverbiale austérité de leurs mœurs. L’extrême rudesse de leur caractère dégénéra plus d’une fois en cruauté dans la chaleur du combat, et ils répondirent souvent aux actes de férocité de leurs ennemis par des vengeances non moins barbares.

Miaoulis possédait à un degré supérieur les attributs et les qualités de sa race. La farouche nature de ses compatriotes était néanmoins tempérée en lui par de profondes habitudes de douceur et d’humanité. Les cruelles représailles que ses matelots exerçaient parfois contre leurs ennemis le révoltaient. On nous a raconté qu’un homme de son équipage, ayant tranché la tête à deux prisonniers turcs, se présenta audacieusement à lui avec ce hideux trophée. À cette vue, l’amiral manifesta une juste horreur, et, flétrissant la sauvage conduite de ce marin, il le chassa de son navire. « La physionomie de Miaoulis, dit un officier anglais qui navigua plus d’une fois avec lui, porte une expression remarquable d’esprit et de bienveillance. Je ne connais pas d’homme dont les manières soient plus simples et plus amicales. Il paraît être au-dessus de toute espèce de forfanterie. Il n’a qu’un but, la délivrance de son pays ; entièrement livré à ce grand dessein, il ne s’occupe ni de la malice de ses ennemis, ni des louanges que lui prodiguent ses concitoyens[1]. »

Andréas Miaoulis naquit à Hydra vers 1760, et dès l’âge de six ans il fut embarqué comme mousse sur un des navires de son père. Il se fit remarquer de bonne heure par la vivacité, l’obstination et

  1. Tableau de la Grèce en 1825, ou Récit des Voyages de J. Emerson et du comte Specchio, p. 140. — Par un singulier hasard, nous avons trouvé à Athènes, sur l’étalage d’un libraire de la rue d’Hermès, un portrait au crayon de cet illustre personnage. Ce croquis inachevé, pris au vol et à l’insu sans doute du modèle, ne peut être que l’œuvre de quelqu’un des officiers étrangers en station à cette époque dans la mer Égée. Au bas de la feuille sont écrits ce nom et cette date : Miaoulis, 1826. La tête de l’amiral, rejetée en arrière, est fièrement posée sur de larges épaules que recouvre une pelisse bordée de fourrures. Les yeux expriment bien cette intelligence et cette douceur constatées par Emerson. Les lèvres disparaissent sous de grosses moustaches, et le nez, légèrement relevé à son extrémité, donne b. cette physionomie un air tout particulier de finesse et d’audace.