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qui cultive en paix et loin des Turcs ses bosquets d’orangers, de jasmins et de roses.


« La flotte est à Psara ; c’est Miaoulis, notre nouveau Thémistocle, qui l’y a conduite. Que font les capitaines ? Ils délibèrent, et quelques-uns veulent s’en aller en plein jour contre les Turcs.

« Mais Miaoulis, fort comme Achille, prudent comme Ulysse, les retient en disant : Ce n’est pas Cara-AIi que vous avez à craindre, c’est Khosref-Pacha, qui est sorti des Dardanelles avec cinquante vaisseaux de ligne.

« Alors Canaris, que les âges futurs ne cesseront d’admirer, se lève et dit : Ne tirons point le canon ; n’exposons pas nos vaisseaux. Les chiens sont dans la joie, ils font le ramazan ; si vous me croyez, nous les brûlerons dans le port.


Après une description exacte de l’incendie du vaisseau amiral, cette chanson se termine ainsi :


« Canaris a remporté la victoire. C’est Dieu qui l’a voulu, afin que les nations sachent qu’il est avec nous, ses serviteurs orthodoxes et fidèles. »

Cette même pensée et cette épithète de serviteurs orthodoxes et fidèles reparaissent dans un grand nombre d’autres improvisations populaires. Les Grecs sont en effet un peuple essentiellement religieux : dans cette guerre, ils se vantaient de combattre non-seulement pour leur liberté, mais encore pour leur foi. Ajoutons qu’ils ont conservé dans leur culte une certaine empreinte de paganisme, et qu’ils ont une foule de croyances dans lesquelles il est impossible de ne pas reconnaître la plupart des superstitions antiques. Ils sont, comme leurs aïeux, épris du symbole matériel, et ils oublient parfois devant l’image sensible l’idée pure qu’elle représente. Les marins surtout se font remarquer par le grand nombre de ces croyances superstitieuses. Exposés sans cesse aux périls de la mer, ils sont plus portés que les autres à redouter les puissances surnaturelles. Ils croient encore que les flots sont peuplés d’esprits στοιχεῖα (stoicheia) funestes ou tutélaires, et ils s’imaginent souvent entrevoir pendant la nuit les Néréides Νεράϊδαι (Neraïdai) étalant leur verte chevelure à la surface des récifs, sur lesquels elles cherchent à attirer les navigateurs. Ils ont diverses cérémonies destinées à conjurer les mauvais génies. En voici une assez singulière, qui est tombée en désuétude aujourd’hui, mais qui, au temps de Miaoulis, était d’un fréquent usage dans tout l’Archipel. Lorsqu’un navire se trouvait en mer, le soir, après le dernier repas, tous les hommes de l’équipage se réunissaient sur le pont ; l’un d’eux, muni d’un encensoir fumant, faisait le tour de l’assemblée, et chaque matelot, à commencer par le capitaine, aspirait fortement une bouffée d’encens, car, suivant la foi populaire,