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mation des états naissans, et qui entraînent souvent à de grandes erreurs les esprits les plus portés au bien. L’incendie de Poros n’a donc point terni la gloire de Miaoulis dans l’esprit de ses compatriotes, ni diminué la reconnaissance que méritent ses immenses services.

Cet épisode termine tragiquement la carrière publique de ce célèbre marin, dont les dernières années s’écoulèrent sans incident remarquable. Il fut l’un des députés que la Grèce envoya à Munich en 1832 pour complimenter son jeune roi. La fierté de ses manières, l’austérité de ses habitudes et son imposante physionomie firent à la petite cour allemande une sensation profonde. Il mourut à Athènes en 1836, âgé de près de quatre-vingts ans, pauvre comme la plupart des chefs de l’indépendance. L’état se chargea des frais de son inhumation, et son corps fut enseveli à la pointe du Pirée, en vue de la mer, à deux pas du débris antique que les Grecs appellent le tombeau de Thémistocle. La nation ne pouvait donner à l’illustre navarque une tombe plus digne de lui. Les Athéniens montrent avec une égale fierté la pierre autour de laquelle la tradition fait errer l’ombre du vainqueur de Salamine et celle qui couvre les cendres du héros moderne de l’Archipel.

On se rappelle quelle immense popularité était, au moment même de leurs exploits, attachée aux noms des Miaoulis, des Botzaris et de quelques autres. L’Europe applaudissait en eux les véritables descendans des héros de l’antiquité. Le désenchantement et l’indifférence prirent bientôt la place de cet enthousiasme. C’est qu’on s’attendait à voir la Grèce reparaître sur la scène du monde avec toutes les gloires, toutes les vertus et toutes les splendeurs de son passé ; mais l’on oubliait trop facilement les obstacles créés par quatre siècles de servitude, d’ignorance et de barbarie que venait de traverser cette malheureuse nation. Il faut songer cependant qu’à l’effort d’héroïsme par lequel les Hellènes avaient reconquis leur indépendance succéda aussitôt un travail de régénération morale et intellectuelle, travaillent, obscur, difficile, qui ne put que s’opérer silencieusement, sans phases brillantes. Si l’on se souvient que les Turcs, expulsés de la Hellade, ne laissèrent après eux que des ruines, au milieu desquelles errait une population décimée par les batailles et luttant contre la misère après avoir lutté contre ses oppresseurs, si l’on compare enfin avec impartialité la Grèce d’aujourd’hui à celle de 1828, on reconnaîtra qu’en définitive elle a fait ce qu’elle pouvait faire dans les limites restreintes et avec les frêles élémens de progrès que lui a octroyés la diplomatie européenne. Sous le gouvernement représentatif et avec les institutions libérales qui la régissent, elle s’est relevée de ses ruines, elle a retrouvé la paix, l’ordre et la sécurité. Son commerce a grandi ; des villes