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que Weber prétendait y voir, n’obtint du public de Munich que l’accueil le plus médiocre. Un Abimelech, écrit à Venise dans le style de l’ancien opéra allemand, semblait une gageure contre l’esprit nouveau qui venait d’Italie, et n’eut point meilleur sort que la Fille de Jephté. Ces deux échecs, arrivant coup sur coup, étaient de nature à compromettre l’avenir d’un artiste, et le découragement s’en fût mêlé sans l’intervention de Salieri, qui, tout en relevant le moral abattu du jeune maître, lui conseilla vertement de s’en aller bien vite faire un tour en Italie, et de séjourner en cet heureux pays, où les citronniers fleurissent, jusqu’à ce qu’il y eût appris comment on écrit pour les voix. Meyerbeer profita de la leçon; il vint à Venise, entendit le Tancrède de Rossini et se convertit à la musique italienne, qu’il n’avait, à vrai dire, connue encore que par les ouvrages de Nicolini, de Farinelli et de Pavesi, qu’on représentait alors à Munich et à Vienne, et dont le style banal, routinier et plat, n’avait point en effet de quoi séduire une intelligence formée à l’école de l’harmonie allemande et nourrie de la moelle des lions. Cette conversion, après quelques mois d’études nouvelles, donna pour résultat Romilda e Costanza, ouvrage représenté sur le théâtre de Padoue en 1818, et dans lequel une mélodie élégante se mariait à un orchestre d’une harmonie plus riche et plus travaillée. Puis vint, l’année suivante, la Semiramide riconosciuta, écrite pour Mme Caroline Bassi, une tragédienne lyrique de ce temps dont on se serait souvenu davantage sans la Pasta, puis encore à Venise, en 1820, Emma di Resburgo, un succès d’enthousiasme qui, avec l’Edoardo e Cristina de Rossini, exécuté vers la même époque, entraîna tout sur son passage.

Meyerbeer tenait la fortune; son nom, déjà populaire, éveillait mille sympathies. Aux louanges cependant allaient bientôt se mêler les critiques, et les plus rudes allaient lui venir de sa propre patrie, de cette Allemagne où la traduction d’Emma di Resburgo avait apporté la nouvelle de son apostasie, comme si, en modifiant son style, en abondant davantage, vis-à-vis d’un public italien, dans les qualités qui constituent le vrai charme de la musique italienne, le jeune maître avait fait autre chose que ce que firent avant lui Handel, Hasse, Gluck et Mozart, qui, eux aussi, jugèrent expédient de composer en Italie des opéras italiens et de s’approprier certains dons naturels à ce beau pays de la mélodie et du chant. Weber, qui ne goûta jamais la musique italienne, à qui même cette musique fut toujours profondément antipathique, Weber publia à ce propos, dans la Gazette de Dresde, contre son ancien camarade, un article plein de colère et de sainte conviction. L’auteur du Freyschütz et d’Oberon avait dans l’âme de ces emportemens passionnés. On sait