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spiration, quelque chose dans le geste, dans la voix, dont rien ne saurait rendre l’originalité. Aussi quels enthousiasmes et quels rappels sur une scène jonchée de fleurs! Quelle joie pour certaines âmes de confondre dans le même bravo le maître et la cantatrice! Je vois encore parmi tant de nobles physionomies rayonner d’intelligence et de bonheur l’aimable visage de la comtesse W..., le centre à cette époque de toute la société de Berlin, et dont les rares talens eussent illustré les arts qu’elle cultive à l’ombre; l’amie des poètes, et qui, comme la Léonore du Tasse, s’abstient discrètement, trop discrètement peut-être, de vouloir toucher au laurier.

Le Camp de Silésie n’affichait, du reste aucune prétention; c’était un opéra créé et mis au monde pour la circonstance, un opéra national, et d’où l’on avait, par mesure de haute convenance, fini par faire disparaître la figure même du grand roi, lequel, ne pouvant décemment se produire sur un théâtre et déplorant la grandeur qui l’attachait au rivage, devait se contenter de jouer dans la coulisse un air de flûte, ce qui ne laissa point de paraître assez comique, et fit dire aux mauvais plaisans de Berlin que le vieux Fritz s’en était allé en flûte (der alte Fritz ist flöten gegangen). La grande affaire de la mise en scène était de représenter dans leurs uniformes respectifs les divers régimens de la guerre de sept ans, et si au point de vue du pittoresque le succès fut complet, il faut dire aussi que la musique, par sa couleur militaire et son entrain caractéristique, y aida singulièrement. Nous avons vu depuis le Camp de Silésie devenir ici l’Etoile du Nord et conserver, en dépit des transformations du poème, en dépit de l’influence atmosphérique, tout autre à Paris qu’à Berlin, son originalité vigoureuse, son inaltérable force d’attraction. L’idée procédant davantage de l’idée, comme il arrive chez les maîtres ayant conquis cette absolue possession d’eux-mêmes qui coupe court aux hasards de l’inspiration, des motifs variés, rapides, fulgurans, jaillissant des chocs de l’orchestre comme l’étincelle du caillou, une instrumentation accidentée, profonde, insondable en ses merveilles, puis tout à coup des explosions à tout rompre, le heurt de deux armées, les chansons du bivouac, les défilés éperdus quand la trompette sonne, que le fifre glapit et que les tambours battent la charge, voilà cette musique étrange et bizarre, qui vous attire et vous repousse en même temps, dont il est permis de discuter les procédés, mais dont on ne saurait méconnaître la puissance. Cette fois plus de symbolisme, comme dans le Prophète, mais un tableau de genre animé, pittoresque, la vie soldatesque dans son va-et-vient, sa turbulence et sa confusion, le Camp de Wallenstein de Schiller mis en musique. Ce qui me plaît chez Meyerbeer, c’est ce commerce sé-