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lui faut la Wolfsschlucht et les incantations du chasseur noir. L’observation peut s’appliquer également à sa manière d’interpréter l’histoire. Sans parler la langue banale des romans de chevalerie du dernier siècle, les personnages d’Euryanthe n’ont en eux rien qui rappelle tout à fait l’époque, le pays où l’action se passe, et vous les prendriez bien. plutôt pour ce qu’ils sont au reste, de vrais reitres allemands du temps de Goetz de Berlichingen. Maintenant examinez les Huguenots de M. Meyerbeer, et comparez; quelle différence, et dans les grandes lignes de la conception, et dans les moindres accessoires! Comme ici la passion est humaine, et comme vous sentez de l’introduction à la fin que nulle autre période que celle des Valois n’aurait pu servir de cadre à ces figures qui, joyeuses ou sinistres, ivres des extases de l’amour ou des fureurs du fanatisme, ne cessent de se mouvoir devant vos yeux dans la réalité vivante des portraits de Vouet! Cette faculté de parcourir l’histoire au gré de l’inspiration et de voyager à travers le monde, d’aller par exemple du Paris de Charles IX au Munster de Jean de Leyde, du camp de Frédéric de Prusse à la lande bretonne, il se peut que de grands poètes l’eussent possédée; mais jusqu’à Meyerbeer aucun musicien, que je sache, ne s’en était fait gloire, u Génie très particulier à la fois et très cosmopolite, » ce mot que M. Saint-Marc Girardin appliquait naguère si ingénieusement au citoyen anglais, conviendrait ici à merveille à rendre ma pensée.

A ce compte, il y a du Goethe, et beaucoup, chez M. Meyerbeer; lui seul serait capable de passer d’Egmont à Iphigénie, du poème de Faust aux Elégies romaines. Que vous semble du Pardon de Ploërmel? Qui jamais aurait cru que l’auteur du Prophète se laisserait ainsi tenter par une églogue? La légende bretonne dans toute sa naïveté primitive, une pauvre égarée traversant la scène avec sa chanson qu’elle effeuille au bord des ravins, un fiancé que la soif des richesses entraîne un moment sur les pas du vieux sorcier, amour, chute et rédemption, telle est la très simple histoire de cette ravissante idylle, où revivent les mœurs et le pittoresque du pays, où vous respirez comme un parfum d’encens mêlé à l’âpre senteur des genêts. Pour la couleur, Brizeux n’en reviendrait pas, et je tiens d’un aimable archéologue, fort versé lui-même dans les études celtiques, qu’on ne saurait être ni plus vrai ni plus exact. D’ordinaire, avec M. Meyerbeer, le talent des librettistes importe peu. Comme pour lui l’idée est tout, les gens du métier se peuvent dispenser de se mettre en frais de fabrication. Quel absurde poème ! s’écrie-t-on à propos de ce Pardon de Ploërmel. Je conviens en effet qu’il serait difficile d’imaginer une plus chétive conception; mais au fond de ce triste chef-d’œuvre se dérobait, insaisissable à d’autres