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que j’avais honte de chercher à pénétrer les secrets d’autrui. De plus, l’apparition du couple amoureux au grand jour et à la lumière du soleil, bien que d’une manière si inattendue et si étrange, m’avait refroidi pour ainsi dire sans me calmer. Je ne trouvais plus rien de surnaturel ni de merveilleux dans cet événement, rien qui ressemblât à un rêve irréalisable…

Je recommençai à chasser avec plus d’attention qu’auparavant, mais le véritable enthousiasme n’y était pas. Je fis lever une compagnie qui me retint une heure et demie. Les jeunes coqs de bruyère me faisaient longtemps attendre avant de répondre à mon sifflet. Je ne sifflais sans doute pas d’une manière assez objective. Le soleil était déjà très haut sur l’horizon (la montre marquait midi), lorsque je me dirigeai vers l’habitation. Je ne marchais pas vite. La petite maison basse m’apparut enfin au sommet de la colline ; mon cœur recommençait à battre… Je m’approchai… Je remarquai avec un secret plaisir que Lucavitch était, comme autrefois, immobile sur son banc devant la petite aile de l’habitation. La porte était fermée et les volets aussi.

— Bonjour, vieux, lui criai-je de loin. Tu es sorti pour te chauffer au soleil ?

Lucavitch tourna vers moi son maigre visage et souleva silencieusement sa casquette.

— Bonjour, vieux, bonjour. Comment, dis-je, surpris de voir ma pièce de monnaie neuve par terre, n’as-tu pas ramassé cela ?

— Je l’ai bien vue, me dit-il ; mais cet argent n’est pas à moi, voilà pourquoi je ne l’ai pas ramassé.

— Quel original tu fais ! répliquai-je, non sans un certain embarras. — Et, relevant la pièce de monnaie, je la lui tendis de nouveau.

— Prends, prends, ce sera pour du thé.

— Je vous remercie, me répondit Lucavitch en souriant avec calme. Je n’en ai pas besoin ; je puis vivre sans cela.

— Prends, et je suis prêt à t’en donner davantage avec plaisir ! continuai-je un peu embarrassé.

— Et pourquoi donc ? Daignez ne pas vous inquiéter. Je vous suis très reconnaissant de votre attention ; mais, quant à moi, j’ai assez de pain, et encore en aurai-je peut-être de trop ; c’est selon les circonstances !

Et il se leva en étendant la main vers la petite porte.

— Attends, vieux ! lui dis-je presque avec désespoir. Que tu es peu causeur aujourd’hui !… Dis-moi au moins si ta maîtresse est levée ou non.

— Elle est levée.

— Et… est-elle à la maison ?

— Non.