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militaires français acteurs dans cette grande lutte, ils avouent avec un grand sentiment de vérité leurs succès, leurs fautes et leurs revers. L’ouvrage de M. Le général Benkendorf est donc infiniment curieux, et les officiers de cavalerie légère y puiseront d’utiles leçons. L’auteur écrivait le sabre au poing, et c’est de la meilleure littérature militaire.

L’écrit du général de Létang est plus concis encore, mais il n’en a pas moins son importance, surtout si l’on admet, ce qui est fort probable, que le maréchal Saint-Arnaud y ait puisé l’idée de l’enfantement d’une cavalerie irrégulière en campagne, dont les bachi-bozouks ou spahis d’Orient devaient être l’essai. Ce qui donnerait quelque appui à cette croyance, c’est que l’on trouve dans l’organisation proposée par le général de Létang quelques traits propres à l’organisation des bachi-bozouks: le commandement des régimens irréguliers laissé à des lieutenans-colonels, les armes envoyées de France, l’irrégularité de l’équipement, de l’habillement, « équipement, dit le général, qui doit être aussi irrégulier qu’eux. » Tout fait donc supposer qu’en créant les bachi-bozouks, on mettait en œuvre la théorie du général de Létang.

Déjà, il faut le reconnaître, sous le premier empire, l’idée d’une cavalerie irrégulière avait été mise à l’essai. Au dire du général russe Benkendorf, Napoléon appréciait tellement l’importance des cosaques, qu’il avait voulu les copier en métamorphosant des Polonais et des Français en cosaques; « mais, remarque à ce propos le général russe, la Vistule et la Seine ne sont pas le Don : le cheval normand ne va pas chercher l’herbe sous la neige, et le sol fortuné de la Russie est le seul qui produise des cosaques. » A l’époque où écrivait le général Benkendorf, la France ne pouvait pas encore opposer le sol fortuné de l’Afrique à celui de la Russie. Revenons à l’écrit de M. Le général de Létang : il trouva dès le début beaucoup d’adversaires; il eut aussi d’éminens approbateurs, entre autres le général de Préval. Depuis cette époque cependant, les faits sont venus opposer aux idées du général de Létang la plus éloquente des réfutations. Le général demandait qu’on reçût dans les régimens irréguliers des soldats d’infanterie. Comment le général de Létang, cavalier consommé, a-t-il pu commettre une pareille hérésie? Qui ne sait combien il importe, pour faire la guerre de partisan, d’être bon et audacieux cavalier, chose qui ne s’acquiert que par une longue pratique? Or, conformément à cette théorie, le corps des bachi-bozouks fut peuplé d’officiers, de sous-officiers et de caporaux d’infanterie dont l’inexpérience était visible[1]. Ce n’est pas atta-

  1. J’en ai vu un qui tombait tous les dix pas, à la grande hilarité de sa troupe.