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assailli par une colonne de cinq cents cuirassiers français sortie de Moscou. Cosaques et cuirassiers se chargèrent pendant une heure; la colonne française fut prise presque tout entière. » Arrive 1813. Le 15 août de cette année, un régiment de cosaques tombe à l’improviste sur une colonne de grosse cavalerie, d’infanterie légère et d’artillerie : tout est culbuté ou pris, et les cosaques emmènent deux pièces de canon françaises et quatre caissons. Il répugne à une plume française d’insister sur de pareils faits; mais peut-on admettre qu’une cavalerie irrégulière réunie à notre armée n’eût pas accompli de semblables prouesses? Sachons donc reconnaître une triste vérité : c’est que de 1812 à 1814 les cosaques nous ont fait quatre-vingt-dix mille prisonniers et pris trois cents pièces de canon. Citons même un dernier exploit qui montre, avec plus d’éclat qu’aucun autre, ce que l’on peut attendre d’une cavalerie irrégulière audacieuse et (qu’on nous passe le mot) bien outillée. A Wippach, le général Benkendorf tombe au milieu des quartiers des généraux français Sébastian!, Excelmans et Colbert. Il est complètement entouré et séparé de son corps. Il parvient cependant à se dégager, marche toute la nuit à trente pas des vedettes et des patrouilles françaises, qu’il voyait à la lueur des feux, et leur échappe sans avoir perdu un seul homme. Un pareil trait honore un chef de partisans plus peut-être qu’un succès, car sa science consiste à savoir tourner les talons à propos. On s’explique du reste cette manœuvre. Le sabre du cosaque est solidement fixé à la ceinture; le cavalier n’a point d’éperons; sur ses habits comme sur ses armes, il ne porte aucune pièce de métal d’une trop grande sonorité; il est exercé à retenir son haleine. Les chevaux sont aussi peu bruyans que les hommes : il n’y a pas un seul cheval entier dans les régimens du Don. Voilà certes un remarquable type d’organisation de troupe irrégulière, et qui la nuit doit passer partout. En outre, le cheval du Don marche l’amble, qui équivaut à un galop allongé, et la bride qui sert à le conduire n’a aucune chaîne. Ce sont là de vrais cavaliers fantômes qui peuvent accomplir des prodiges, conduits par des officiers braves, audacieux et intelligens.

Tels étaient les cosaques en 1814. Comment les avons-nous retrouvés en 1854? Ce n’étaient plus les mêmes. Que faisaient ces fameux éclaireurs au débarquement d’Oldfort? Le maréchal Saint-Arnaud l’a dit: «Je débarquai, écrit-il, sans coup férir.» Les avons-nous jamais vus rôder autour de Kamiesh au début du siège? Les a-t-on vus courir le long de la route du plateau de Chersonèse à Balaclava, enlever les hommes isolés avant que l’on eût mis cette route à l’abri d’un coup de main, comme on le fit après la journée de Balaclava? Cependant il existait alors des cosaques, et le corps du