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confrérie dont les membres sont initiés à l’art et au mystère du patterism. Ils parlent entre eux un argot qui diffère de celui des marchands de poisson et de légumes. Un violent désir d’exciter l’admiration les pousse beaucoup trop souvent dans le tap-room, moins encore pour l’amour de la boisson que pour la société qu’on y rencontre. Dans cette vie de désordre, ils perdent pour la plupart jusqu’au désir d’améliorer leur situation morale.

Dans la foule des patterers, je choisirai une figure originale, le marchand de livres, street-book seller, qu’on appelle aussi Cheap Jack (Jacques Bon-Marché). Le samedi soir, dans les environs de White-Chapel, un homme à cheveux gris, debout sur une charrette plate, crie, à la lueur d’un bec de gaz dont la flamme tremble et oscille au gré du vent, des volumes de seconde main, comme disent les Anglais. Son système de vente est d’arrêter la foule par une harangue. J’ai rencontré le même bouquiniste nomade à Woolwich et dans d’autres villes aux environs de Londres. Il commence son discours en s’accusant, avec toute sorte d’humilité, de ne point savoir lire ; mais comme il donne sur chaque auteur et sur chaque ouvrage des explications qui ne manquent point d’un certain tact, il est aisé de reconnaître que cette ignorance fictive est un prétexte oratoire pour mieux faire ressortir les avantages de la lecture. M’étant introduit dans ses bonnes grâces par quelques achats de livres, j’obtins de lui des renseignemens sur son commerce et sur le genre de littérature qui convient le mieux à la classe ouvrière de la Grande-Bretagne. « J’étais, me dit-il, commis dans la boutique d’un libraire ; mais la dépendance et la captivité ne s’accordaient point avec mon caractère. J’aime l’air, la rue, la foule ; j’aime à parler et à être écouté. Dès que j’eus amassé quelques shillings, j’achetai des volumes que je revendis pour mon propre compte. À dater de ce moment, j’avais essayé mes ailes, et la cage n’était plus assez forte pour me retenir. Je me mis à courir les foires et les marchés avec un bagage qui d’abord était fort mince, mais qui ne tarda point à grossir. Le grand art dans mon genre de commerce est de connaître le goût du public auquel on s’adresse. Il y a quelques années, je vendais beaucoup de sermons ; aujourd’hui cette branche de littérature est en décadence. Ce qui vaut encore le mieux au point de vue du débit, ce sont les classiques anglais. Vous ne sauriez croire le nombre d’Histoires d’Angleterre par Goldsmith que j’ai placées depuis dix ans ! Les vies de marins réussissent dans certains quartiers, comme Wapping, et les annales militaires dans certaines villes, comme à Woolwich. Les magazines sont très recherchés ; le peuple y trouve une source d’instruction que les gravures rendent plus attrayante. Je lis ou du moins