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l’un a été écrit en anglais par l’un des hommes les plus célèbres de l’Allemagne, M. Bunsen, et dont l’autre a pour auteur un jeune et savant protestant français, M. Edmond de Pressensé, qui a reçu une partie de son éducation en Allemagne,

L’œuvre de M. de Pressensé est une Histoire des trois premiers siècles de l’Eglise chrétienne. Il n’en a paru encore que deux volumes, qui nous conduisent à la fin du Ier siècle; mais au point de vue où je voudrais me placer, ce début suffit pour nous révéler entièrement la pensée de l’auteur. Quoique M. de Pressensé soit orthodoxe dans le sens protestant, il n’en a pas moins une pente individuelle assez marquée, et il est même pasteur d’une congrégation qui, sans rompre avec l’église évangélique de Paris, s’est constituée sur des bases particulières. Entre lui et M. Bunsen il existe de profondes différences, différences de vues et de tempérament. Ils sont presque aussi éloignés l’un de l’autre que la France l’est de l’Allemagne. Pourtant ils offrent aussi de fortes analogies, et elles sont d’autant plus importantes qu’elles représentent justement l’esprit moderne du protestantisme.

À comparer les deux écrivains, ce qui frappe de prime-abord, c’est que la théologie nouvelle n’est pas uniquement plus philosophique que le protestantisme primitif. On voit qu’elle fait en même temps un pas de plus dans la direction que la réforme a suivie dès le principe. La réforme avait été un effort pour spiritualiser le christianisme, la théologie nouvelle le spiritualise encore davantage. À l’égard des sacremens, Luther s’était arrêté à mi-chemin, et les calvinistes eux-mêmes, dans leurs idées sur le baptême et sur l’observation du dimanche, ne s’étaient pas complètement séparés de la théorie catholique qui rattache en partie le salut à certaines conditions matérielles, à certaines formalités extérieures. L’école moderne fait littéralement de l’âme le seul théâtre du christianisme. La communion et le baptême ne sont pour elle que de purs symboles : on n’est chrétien qu’à la condition d’être délivré du mauvais esprit et d’avoir l’âme tournée vers Dieu par le Christ. D’un autre côté, le rôle de l’incarnation et de la rédemption, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus spécial dans la religion chrétienne, est plus agrandi que jamais. « Le difficile, disait un archevêque anglais, Leighton, ce n’est point de convaincre les hommes de la nécessité d’un changement de conduite, ni même d’un changement de principes; c’est de les amener à reconnaître la rédemption par un Sauveur et la nécessité d’un tel médiateur surnaturel. » La difficulté est si grande en effet que le catholicisme pratique et courant du XVIe siècle avait à peu près supprimé la rédemption. Du moins il en avait fait, non plus une influence de tous les momens, mais un événement tout à fait accompli :