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qu’elle est tour à tour entraînée à considérer Dieu dans trois sphères différentes, qui n’ont jamais été suffisamment distinguées. Dans la sphère transcendante ou métaphysique, en d’autres termes quand nous cherchons à nous représenter Dieu tel qu’il est en soi, nous ne pouvons l’imaginer que comme l’être infini qui se pense lui-même, ce qui implique que dans la conscience infinie l’être et la pensée ne sont qu’un, et ce qui nous donne cette première triade : l’être, — la pensée, ou Dieu faisant de lui-même l’objet de sa connaissance, — l’existence consciente. — Mais nous pouvons également envisager Dieu comme l’auteur et le régulateur de l’univers, et nous abordons alors une autre sphère, la sphère cosmogonique, qui n’a plus aucun rapport avec celle de l’existence absolue, sans limites et sans variations. La raison divine, devenue cause créatrice par la volonté de créer, est maintenant descendue dans le monde fini, dans les conditions du temps et de l’espace. C’est dire qu’elle se présente forcément à nous comme une évolution : au lieu d’être explicite, elle poursuit un mouvement pour se rendre explicite, et nous obtenons une seconde série d’idées qui est très expressivement rendue par les mots : Père, le créateur, l’infini ; — Fils, la création, le fini; — Esprit, l’unité du fini et de l’infini.

La création s’explique ainsi pour M. Bunsen par le dogme même de la Trinité. L’univers a été tiré du néant parce que la pensée infinie a voulu se traduire dans le temps et l’espace, et chacune des phases qu’il a traversées, depuis la matière brute avec ses aveugles affinités jusqu’à la créature intelligente et libre, est simplement un des degrés successifs de cette manifestation toujours ascendante. L’homme encore n’est qu’un nouveau théâtre où l’évolution continue son cours, et où elle doit atteindre son parfait accomplissement. Par cela seul que notre raison est sortie de la pensée créatrice, elle renferme une parcelle de divinité : pour mieux dire, elle est consubstantielle au Verbe ; elle est, dans les conditions du fini, la raison suprême elle-même, mais la raison suprême plus ou moins asservie par un principe égoïste et terrestre, plus ou moins mal arrivée à se connaître et à se posséder. C’est pour l’aider à rompre cet esclavage que le Verbe s’est incarné. Les prophètes et les justes n’avaient en eux qu’un reflet de la lumière, le Christ est la lumière même. Par sa vie et par sa mort, par sa victoire absolue sur sa personnalité, il a réalisé la manifestation complète de la divinité dans l’humanité. Dieu fait homme a pris possession de la terre, et il y a rayonné pour qu’à son éclat la céleste parcelle qui est en nous tous reconnût son origine, pour que par l’attrait de son divin prototype et par son élan vers lui elle parvînt à se développer entièrement. Est-ce en conséquence d’une chute originelle que cette assistance a été nécessaire, ou notre première condition morale est-elle seule-