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ment une sorte d’état embryonnaire? Est-ce d’ailleurs par une influence surnaturelle que le Christ nous élève à une vie supérieure, ou n’est-ce que par l’ascendant de l’exemple? Il serait peut-être dangereux de trop chercher à préciser sur ces points l’opinion de M. Bunsen. Je me permettrai seulement un rapprochement : dans la pensée des catholiques, le Christ est presque exclusivement la victime qui a acheté le pardon de tous; dans celle des protestans, il est le sauveur qui offre en même temps le pardon et la régénération. Pour M. Bunsen, ce n’est plus ni l’idée de pardon, ni celle de régénération qui sont au premier plan : il aime à employer un langage qui offre plutôt à l’esprit l’image d’un progrès et d’une croissance continue que celle d’une réhabilitation. Le Christ, comme le présente M. Bunsen, est avant tout l’accomplissement des aspirations et des prophéties du passé et la porte des destinées futures; il est l’échelon qui conduit à la vie supérieure, à la période dernière où le principe divin de notre être, après avoir de plus en plus étendu ses conquêtes sur l’élément charnel, finira un jour par l’anéantir sur la terre, et où l’humanité deviendra ainsi la pleine expression de la pensée de Dieu. A cet égard, M. Bunsen ne met aucune limite à ses espérances. La perspective de cette espèce de millénium, de cette divinisation future de l’univers, est plus pour lui qu’une certitude; elle est la conviction d’où découlent toutes ses convictions, car l’œuvre de spiritualisation commencée par l’incarnation du verbe ne saurait être interrompue par les hommes. Pour qu’elle se poursuivît sans relâche et n’eût d’autre terme que sa réalisation parfaite, le Christ en partant a laissé derrière lui l’Esprit saint, l’esprit de force et de lumière qui a été promis à l’église, et qui jusqu’à la fin des temps doit demeurer partout où plusieurs fidèles seront réunis pour prier.

En suivant ainsi la pensée divine comme elle se manifeste dans l’humanité, nous avons quitté la sphère cosmogonique proprement dite. C’est dans l’ordre moral, ou, pour parler la langue de l’auteur, dans l’ordre anthropologique et historique que nous sommes entrés, et là encore Dieu s’est montré à nous sous un triple aspect, que M. Bunsen définit toujours par les mêmes termes, Père, Fils et Saint-Esprit, mais en donnant à ces termes une signification grosse de conséquences. Par le Fils, il entend également le Christ et l’homme individuel, le Christ comme l’incarnation complète du Verbe, l’homme comme sa manifestation plus ou moins imparfaite; par l’Esprit saint, il veut dire l’église ou l’ensemble des croyans, l’humanité ou l’ensemble des hommes. Peu importe qu’au premier abord on ait quelque peine à saisir comment cette troisième personne qui, en Dieu, est l’existence consciente ou l’unité de l’être et de la pensée, se trouve représentée dans la sphère historique par la société totale