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du servage spirituel, par la suppression de toutes les législations et de tous les législateurs terrestres qui se sont placés entre le chrétien et Dieu, qu’il espère rendre les âmes à la suprématie de l’Esprit saint. Et cependant M. Bunsen est clairement un homme de ferveur encore plus qu’un croyant de tête ; là même est son titre d’honneur. Tout en désirant ce que désiraient les Wesley, les Spener et les autres apôtres de la religion du cœur, il n’a pas leur côté exclusif. En besoin chez eux étouffait l’autre, et pour accroître l’intensité des sentimens, ils tendaient plus ou moins à sacrifier les intelligences en les détournant de la discussion des doctrines, tandis que M. Bunsen, avec sa nature plus ouverte de tous les côtés, vise précisément à ranimer les affections en réveillant l’activité des pensées. Il demande l’indépendance de la raison, parce que l’examen empêche d’oublier. Il veut que le christianisme soit le domaine où s’exercent toutes nos forces intellectuelles, qu’il soit la philosophie où se condensent toute notre expérience et toutes nos conceptions, et cela afin que la foi pénètre dans les volontés et dans les consciences par toutes les avenues des esprits. « C’est ravaler la révélation, écrit-il, que de la traiter comme une vérité tout externe, qui ne laisse rien à faire à l’homme, et qui, selon le mot d’un adorateur de la lettre, eût pu tout aussi bien être octroyée à un chien, si tel eût été le bon plaisir de Dieu. » — « La révélation, ajoute-t-il ailleurs en répétant une parole du révérend Maurice, ne fait pas la vérité, elle n’en est que renonciation. » Mais est-il certain que la raison, entièrement livrée à elle-même, s’accordera dans ses conclusions avec l’Évangile? Pour M. Bunsen, il n’y a pas même place au doute. Supposer qu’il en puisse être autrement, c’est manquer de foi, c’est nier que le christianisme soit la vérité, puisque, s’il est vrai, il ne petit être contraire à la raison. On ne saurait rien désirer de plus rationaliste : cela revient presque au vieil axiome que tout ce qui est inconcevable pour notre raison est par là même convaincu d’être l’absurde, l’impossible, le déraisonnable absolu.

Seulement, comme l’ajoute encore M. Bunsen, cette indépendance de la pensée individuelle exige d’autre part un retour sérieux aux mœurs fraternelles de la congrégation. Il n’y a qu’un moyen de rendre à la spéculation ses droits légitimes sans qu’elle compromette l’accord et la charité; ce moyen, c’est de reconstituer le christianisme collectif et agissant, c’est de renouer entre les chrétiens isolés un autre lien d’union en faisant d’eux à chaque instant de véritables collaborateurs, en leur rendant un ensemble de droits et de devoirs ecclésiastiques qui les appellent journellement à délibérer en commun, à poursuivre en commun une même fin. L’esprit d’isolement est le schisme universel de notre époque; il est nécessaire que le baiser de paix et la communion redeviennent une vé-