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nération spirituelle confère à l’homme le droit d’avoir des biens; l’état de péché mortel les lui retire; l’absolution ecclésiastique les lui rend et l’en investit de nouveau. En somme, la plénitude du pouvoir de l’église est telle qu’il est impossible d’en peser, d’en calculer, d’en mesurer l’étendue. »

Ces principes sont extraits d’un traité de Gilles de Rome, traité qui n’est lui-même que l’exposition méthodique des idées d’Innocent III, de Grégoire IX, de Boniface VIII. Ils n’étonneront pas ceux qui savent comme nous que la théorie du gouvernement théocratique n’est point morte au milieu des orages qu’elle a jadis soulevés. En regard de ces doctrines, il importe d’exposer aussi ce que l’empereur répondait ou faisait répondre par ses légistes. Sans nier les donations attribuées à Constantin et à Charlemagne, il s’appuyait sur ce principe de droit que toute donation devient révocable par l’ingratitude du donataire, et que le saint-siège, tournant contre l’empire les bienfaits qu’il en avait reçus, pouvait être légitimement privé de son domaine temporel[1]. On ajoutait que, dans l’ordre des choses civiles, l’empereur d’Occident ne pouvait admettre ni contrôle, ni supériorité, qu’il était lui-même la loi vivante, et par conséquent qu’il était affranchi de toute loi : lex animata in terris, lex legibus omnibus soluta; que les peuples et les rois étaient les sujets du césar de Rome, chargé par Dieu de présider au gouvernement du monde, et qu’il lui était même licite de s’attribuer les maisons, les champs, les propriétés privées, sans avoir à en rendre aucun compte. « Son pouvoir est comme celui de Dieu, si haut qu’on n’y peut atteindre, si plein qu’on n’y peut rien ajouter. » Ainsi parle Ænéas Sylvius, qui ne fait ici qu’affirmer audacieusement les doctrines suggérées avant lui aux deux Frédéric et à Louis de Bavière par des jurisconsultes fanatiques, tels que Barthole et Marsile de Padoue. Les deux théories, on le voit, en arrivent, par une suite de déductions poussées à l’extrême, jusqu’à nier radicalement le principe des nationalités, jusqu’à immoler à un absolutisme extravagant les droits les plus sacrés de l’individu.

En présence de ces deux systèmes aussi hostiles à la liberté politique qu’ils étaient inconciliables avec la constitution d’un état italien, il semble que l’Italie aurait dû s’isoler et assister sans y prendre part à la lutte des deux adversaires; mais comme, par l’ef-

  1. Cette argumentation, qui date du XIIIe siècle, fut aussi celle qu’adopta Napoléon dans son discours au corps législatif le 3 décembre 1809. « L’histoire, disait-il, m’a indiqué la conduite que je devais tenir envers Rome... Je n’ai pu concilier ces grands intérêts qu’en annulant la donation des empereurs français mes prédécesseurs, et en réunissant les États-Romains à la France. » On peut voir aussi les considérans du décret d’annexion et la curieuse lettre insérée dans le Moniteur du 11 janvier 1810.