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des shillings, à des demi-couronnes, même à des demi-souverains et à des souverains. Ils découvrent en outre des cuillers, des fourchettes, des gobelets d’argent, des montres, puis çà et là des articles de bijouterie. On voit maintenant quel genre d’attrait peut vaincre la répugnance naturelle qui s’attache à la pratique des égouts. L’espérance ouvre la porte de ces sombres demeures. Les gens habiles du métier ne s’arrêtent point aux égouts dont le courant est rapide comme celui du Fleet : on n’y trouve rien ; ils sondent les noirs ruisseaux dont le cours lent et paresseux n’entraîne point les objets de valeur. S’il faut en croire le récit des chasseurs expérimentés, dans certains endroits les clous, les pièces de monnaie, les débris de fer ou de cuivre s’amalgament en une masse compacte et forment des espèces de rocs. Ces conglomérats métalliques s’accroissent de jour en jour par les nouveaux élémens qu’ils reçoivent. Enlever ces masses serait le rêve des sewer-hunters, mais elles sont trop lourdes et défient toutes les forces humaines. Le temps que les chasseurs passent sous terre est d’ailleurs limité : on ne peut rester dans les égouts que d’une marée à une autre marée. Il en résulte que les plus hardis et les plus habiles chasseurs n’ont jamais pénétré qu’à quelques milles dans les égouts de Londres : le reste leur est inconnu. Les dangers qu’amène avec lui le flux sont peut-être les plus sérieux de tous : les écluses alors s’ouvrent, l’eau destinée au nettoyage des égouts se précipite, et les noirs ruisseaux se changent tout à coup en rivières. Si le malheureux surpris par cette inondation ne trouve point à se réfugier tout de suite dans un des embranchemens de l’égout, il périt inévitablement. Un fait suffira pour donner une idée de la violence de ces courans déchaînés. Il y a quelques années, une des rues souterraines de Londres était ouverte pour des travaux de réparation ; une longue échelle atteignait le fond de l’égout, et l’aide maçon descendait chargé d’une certaine quantité de briques, quand l’eau échappée d’une des écluses frappa le pied de l’échelle et balaya à l’instant même l’échelle, l’homme et le reste. Ce pauvre manœuvre fut retrouvé, après quelques heures, par un habitué des égouts : il était mort et horriblement défiguré. Le maître maçon buvait, au moment de la catastrophe, une pinte de bière et fumait sa pipe dans un des public houses du voisinage.

Lorsque la bande des sewer-hunters est sortie de l’égout, elle se rend dans la maison d’un des confrères : là on compte l’argent qu’on a ramassé, et on fait le partage du butin. Autrefois chaque membre du groupe recevait assez souvent de 30 shillings à 2 livres après une excursion. C’était le beau temps ; les chasseurs actuels en parlent avec enthousiasme, et ils se plaignent amèrement des obstacles qui se sont élevés depuis une dizaine d’années contre leur industrie.